ART | EXPO

L’homme de Vitruve

14 Sep - 16 Déc 2012
Vernissage le 13 Sep 2012

Pensée en connivence avec le nouveau lieu occupé par le Crédac (la Manufacture des Œillets à Ivry), cette exposition réunit des œuvres qui concernent le monde industriel, la disparition progressive des savoir-faire ouvriers, les mouvements sociaux au sein des usines d’hier et d’aujourd’hui, la désindustrialisation, ou encore les usines abandonnées.

Bertille Bak, Louise Hervé et Chloé Maillet, Jannis Kounellis, Jean-Luc Moulène, Jorge Satorre, Richard Serra et Thu Van Tran
L’homme de Vitruve

Partant d’un constat que le célèbre logo de Manpower où «l’Homme de Vitruve» de Léonard de Vinci, symbole de l’homme au cœur du travail, a disparu il y a quelques années au profit d’un logo abstrait, l’exposition rassemble des artistes internationaux sensibles au phénomène de la désindustrialisation, au passé des usines abandonnées et qui envisagent le monde du travail comme objet d’une archéologie moderne.

Emblématique de l’histoire d’Ivry, hier encore ville industrielle, la Manufacture des Œillets (qui accueille aussi une école d’architecture et d’art graphiques et bientôt un centre dramatique national) est aujourd’hui représentative du phénomène de réhabilitation des usines en lieux d’art qui transforme ce patrimoine en destination culturelle.

Non loin de la Sortie d’usine d’Auguste et Louis Lumière (1895) est présentée une sélection de disques de la scène anglaise des années 1980. Ce mouvement musical dont le label Factory Records est l’emblème représente cette réappropriation des lieux post-industriels par les artistes, d’abord en lieux de production puis de diffusion.

La toile de Boris Taslitzky, Le Jeudi des enfants d’Ivry (1937), où est représentée la Manufacture des Œillets, illustre les premiers centres de loisirs, à une époque où les intellectuels et les artistes prennent part au combat ouvrier.

Avec sa série photographique des Trente-neuf objets de grève (1999-2000), Jean-Luc Moulène s’inscrit dans cette lignée en réactivant la mémoire collective au travers de ces objets témoins de luttes célèbres, dont neuf photographies seront présentées accompagnées d’un livret contenant l’ensemble de la série et offert au visiteur.

Louise Hervé et Chloé Maillet présentent une sélection d’objets ayant appartenu à Maurice Thorez (dirigeant du Parti Communiste Français de 1930 à 1964, député d’Ivry) et conservés aux Archives municipales d’Ivry. Celui qui titra son autobiographie Fils du Peuple et revendiquait le livre comme instrument d’émancipation devient le point de départ d’une nouvelle de science-fiction et d’une performance produites par le Crédac à cette occasion.

Aujourd’hui lieu de production d’une autre nature, cette fois artistique, la Manufacture est réinvestie par des artistes qui, à la manière de l’archéologue, de l’ethnologue, de l’archiviste ou de l’ingénieur, recensent et commémorent la mémoire ouvrière. Insoumises au rendement, leurs œuvres valorisent le processus de travail et son contexte humain.

Ainsi Jorge Satorre, en interrompant son projet de publication illustrée de l’essai La Part maudite de Georges Bataille (La Part maudite illustrée, 2010), met en pratique son idée même, à savoir cette part de déperdition à l’œuvre dans toute production.

De même Thu Van Tran dans son projet Le Nombre Pur selon Duras (2010-2012) s’attache entre autres à accomplir l’inventaire, suggéré par Marguerite Duras, de tous les ouvriers ayant travaillé dans les usines Renault à Boulogne-Billancourt.

Simon Boudvin remet au jour l’histoire d’une Maison populaire à Liège, refuge de la lutte ouvrière dans un ancien hôtel du XVIIème siècle (Façade 01 (Liège), 2010). A travers la maquette de sa façade et les photographies des pierres conservées, il pointe les différentes intentions agissant dans l’acte de conservation et, ce faisant, la part de construction de l’histoire.

Bertille Bak recense les façades des corons, maisons des cités ouvrières du Nord, et recrée une chaîne de production de frites avec des enfants des cités (Cité n°5, 2007).

Mircea Cantor, quant à lui, a travaillé avec les ouvriers d’une usine d’allumettes en Roumanie pour produire une série d’allumettes à double tête à partir de rebuts (Double heads matches, 2002). Son film consacre le savoir-faire manuel, tout comme celui d’Harun Farocki qui documente les différentes méthodes de fabrication des briques à travers le monde (Vergleich über ein Drittes (Comparison via a Third), 2007).

Jacques Faujour documente les contours de la désindustrialisation en photographiant les loisirs productifs en bords de Marne dans les années 1980, pêche et jardinage sur fond de friches industrielles.
Ces clichés agissent comme des échos humanistes aux typologies implacables de Bernd et Hilla Becher (Tours d’extraction, 1970-1988 et Hauts-Fourneaux, 1970-1989).

Les sculptures de Jannis Kounellis (Sans titre, 2003) et le film de Richard Serra (Hand Catching Lead, 1968) nous rappellent, par leur forte matérialité, comment la sérialité et les matériaux industriels (acier, charbon) ont imposé au corps de rivaliser avec les machines en inventant de nouveaux comportements, tandis que le ruban de Moebius d’Alexander Gutke (Measure, 2011) introduit les notions de continuité, de boucle et de mouvement.

Le socle vide d’une sculpture disparue il y a soixante ans, toujours en place à Ivry et où est gravée la sentence «Hommage au travail» résonne étrangement comme le symbole, à la fois universel et local, de cet «homme de Vitruve» rendu invisible.

En se nourrissant de l’histoire du passé industriel mais aussi du présent, ces artistes établissent une mémoire différente de celle du travail de l’historien ou du sociologue, une mémoire active et productive qui tente de replacer le corps humain et le corps social au cœur des enjeux sociétaux d’aujourd’hui.

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