PHOTO | CRITIQUE

L’Esprit du nord : Netherlands Now

PJessica Todd Harper
@12 Jan 2008

«Netherlands Now», qui présente des photographes néerlandais âgés de 30-40 ans, est l’un des trois volets de l’exposition que la Maison européenne consacre à «L’Esprit du nord». Deux grandes directions s’en dégagent: la réappropriation photographique d’une tradition picturale, et l’étrangeté du monde contemporain.

La Maison européenne de la photographie présente une exposition en trois temps consacrée au nord, c’est-à-dire à cette région qui s’étend du nord de la France aux Pays-Bas. Si dans deux d’entre elles — «Magritte et la photographie» et «Johan van der Keuken, photographie et cinéma» — la photographie croise explicitement d’autres pratiques artistiques, à savoir la peinture et le cinéma, c’est aussi le cas dans la troisième exposition: «Netherlands Now: l’école du nord», consacrée à une même génération de photographes néerlandais.

Parmi les vingt-six photographes présentés ici, la plupart sont âgés de trente à quarante ans, et nombreux sont ceux qui sont issus de la Rietveld Academy d’Amsterdam. Ces deux données ajoutées à «l’influence du climat», expliquent en partie la relative unité thématique de l’ensemble.
Deux directions majeures et intimement liées se dégagent: la réappropriation photographique d’une tradition picturale ancienne et moderne, centrée sur le statut du corps et de la nature; et l’étrangeté du monde contemporain.

Le portrait décline ici tous ses visages. Il peut être présentation du corps sans apprêt et livré à sa vie: les deux clichés de Lidwien Van de Ven sont comme des photos d’identité agrandies, qui grossissent toutes les imperfections du visage de deux adolescents; les trois clichés du même homme au torse nu pris par Annleen Louwes laissent voir le grain de sa peau et les traces d’un patch décollé; chez cet homme de grande taille, courbé sur une chaise inconfortable, le corps se fait chair, et pèse de toute son inertie et de sa vie propre. Bacon n’est pas loin, et les contorsions des Trois figures dans une pièce (1964).

Le portrait ouvre aussi sur la nudité et sur les rapports que nous avons avec elle, comme chez cette jeune fille d’Arno Nollen, mi-vêtue comme chez Balthus, et dont le sexe épilé invite à s’interroger: où commence la nudité? Où s’arrête-t-elle?
Chez Koos Breukel, l’aura du noir et blanc et de la pose est immédiatement contrebalancée par la dissymétrie qui affecte les yeux de tous ces personnages: comme si le sérieux du portrait devait prendre acte de l’irrégularité des visages, au lieu de chercher à la nier ou à la dissimuler. La photographie ne triche pas et pourtant, en montrant le réel comme il est — sans grâce et aux limites du monstrueux —, elle le montre comme il n’est pas — beau et magnifié.

L’identité mise en jeu dans le portrait et la photographie du corps n’est pas seulement d’essence métaphysique: elle est aussi liée à la réalité sociale, comme chez ces filles mères en Angleterre prises par Hellen van Meene, qui brouille les cartes entre l’art et le reportage.

Les références à la peinture peuvent être beaucoup plus explicites, sans sombrer pour autant dans l’exercice de style. Il s’agit plutôt de mesurer l’écart entre photographie et peinture sous tous les modes possibles. Ainsi des deux photographies d’Erwin Olaf, qui évoquent la solitude et les difficultés de communication entre les êtres propres aux toiles d’Edward Hopper. Mais la reconstitution s’accompagne d’une saturation des couleurs, d’une rigidité des poses: regard ironique sur une photographie qui voudrait peut-être se faire aussi belle que la toile; invitation à désamorcer le regard pictural avec lequel nous envisageons les photographies peut-être à notre insu.

Ce jeu avec les références picturales permet de remettre en question des distinctions admises, notamment celle du réel et de l’artificiel.
Ainsi Xteriors VIII de Desiree Dolron reprend La Leçon d’anatomie de Rembrandt: un enfant est allongé sur un brancard et transporté par des femmes placides. Le rendu très lisse et très dense laisse planer le doute sur l’humanité des personnages, à la frontière du vivant et du mannequin cybernétique.

Même ambiguïté dans les photographies urbaines de Van der Salm et de Zwakman: sont-elles des vues de lieux réels ou de maquettes? Le travail sur la lumière de certains artistes va dans le même sens. Il porte sur la densité plus ou moins grande du grain de l’image. Dans les deux prises du port de Rotterdam, Leo Divendal exploite les pixels de l’écran numérique et du tirage sur imprimante pour créer un effet impressionniste et modifier la représentation au moyen de la technique. À l’inverse, la netteté des formes et l’intensité des couleurs des arbres, des mares et des fleurs de Wout Berger et de Marnix Goossens deviennent suspectes: nature trop éclatante pour être naturelle, comme si la technique trahissait nécessairement alors même qu’elle veut restituer au plus près.
Dans tous les cas donc, une question demeure: par où approcher le réel? Par le nord.

English translation : Rose Marie Barrientos
Traducciòn española : Santiago Borja

Céline Van Balen
— Bussum, 2004. Photographie couleur.
Marnix Goossens
— After, 2001. Photographie couleur.
Annaleen Louwes
— Rob, 2005. Photographie couleur.
Lidwien Van de Ven
— Promised Land, 2003. Photographie noir et blanc.
Elspeth Diederix
— Computer, 2004. Photographie couleur.
Rineke Dijkstra
— Orange County, 2003. Photographie couleur.
Carla van de Puttelaar
— Untitled, 2005. Photographie couleur.
Edwin Zwakman
— Backyards, 2004. Photographie couleur.
Frank Van der Salm
— Sequence, 2004. Photographie couleur.
Hellen Van Meen
— Lonon, 2005. Photographie couleur.

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