ART | EXPO

Les Recherches d’un chien

23 Oct - 16 Jan 2011
Vernissage le 22 Oct 2010

Comme le chien-protagoniste de la nouvelle de Kafka dont l'exposition emprunte son titre, les artistes réunis ici se posent des questions sur le sens de la création artistique, animés par une véritable passion pour la société humaine.

Roberto Cuoghi, Urs Fischer, Fischli & Weiss, Jeff Koons, DeAnna Maganias, Paul McCarthy, Cady Noland, Vasco Araújo, Gardar Eide Einarsson, David Hammons, Marepe, Lorna Simpson, Kara Walker, Maurizio Cattelan, Thomas Hirschhorn, William Kentridge, Navin Rawanchaikul, Sherrie Levine, Mark Manders, Aurel Schmidt, Gregor Schneider, Mircea Cantor, Annika von Hausswolff, Kimsooja, Sigalit Landau, Esko Männikkö, Bruce Nauman, Lara Schnitger, Santiago Sierra, Virginie Barré, Philippe Bazin, Mark Dion, Claire Fontaine, Mikhailov, Martin Parr, Stéphane Thidet
Les Recherches d’un chien

L’exposition «Les Recherches d’un chien» emprunte son titre à une nouvelle écrite en 1922 par Franz Kafka. Un chien, ou plutôt un chiot, souffre d’une crise d’identité qui le pousse à se poser des questions sur sa propre essence et, de manière plus générale, sur l’identité canine. Pourvu d’un tempérament plus solitaire et plus introverti que d’autres chiens, qui vivent heureux en groupe sans se poser de questions, le personnage se lance dans une quête de la connaissance qui le mènera aux confins de la société au point de faire de lui un fou, ou un étranger, aux yeux des autres.

Le paradoxe réside dans le fait que cet isolement est l’expression d’une forme d’amour sans limites de la part du chien pour ses semblables, car c’est avant tout par souci des autres qu’il tente de comprendre ce que signifie être un chien. Cette nouvelle, et de manière plus générale les thèmes et stratégies d’expression récurrents dans les oeuvres de Franz Kafka, ont inspiré le choix des oeuvres présentées. Toutes s’intéressent à la manière dont l’innovation linguistique peut apporter une dimension politique à la création artistique, précédant le contenu même de l’oeuvre d’art.

Les philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari, dans leur analyse de l’oeuvre de Kafka, ont élaboré la notion de littérature «mineure» pour décrire le lien entre écriture et politique, c’est-à-dire la possibilité de voir une création artistique transmettre des messages révolutionnaires, notamment par l’utilisation subversive du langage. «Mineure» s’entend ici dans le sens de «non officiel», «pas au pouvoir», mais se déplaçant néanmoins dans la sphère du pouvoir pour y trouver des échappatoires, pour faire naître des espaces de liberté. «Mineure», comme l’utilisation d’une langue majeure par une minorité.

A l’exemple de Kafka, un juif de Prague écrivant en allemand, la langue ainsi déterritorialisée cesse d’être l’expression d’une identité nationale et devient nomade. «Mineure», pour établir le lien entre des événements personnels et un contexte plus vaste, pour trouver la pertinence politique d’histoires individuelles. Enfin, «mineure» comme la nature collective d’une énonciation, la transition d’une voix individuelle vers une voix collective.

Les artistes ici réunis partagent une pratique artistique qui peut être lue à la lumière de cette catégorie «mineure». Avec un discours artistique «excentrique», que l’on ne peut associer à aucune catégorie esthétique acquise, ils subvertissent l’usage conventionnel des supports d’expression qu’ils adoptent. Cette recherche formelle, pourtant, n’est pas une fin en soi: tournée vers le monde extérieur, elle se met en relation avec la situation politique de son époque, pour être socialement active.

Dans cette optique, le fait de s’approprier des objets et des symboles extérieurs à la sphère artistique pour leur attribuer de nouveaux sens et de nouvelles fonctions est une stratégie essentielle. Nombre des artistes exposés emploient cette technique pour produire une réflexion sur les thèmes récurrents de notre société contemporaine: identité postcoloniale, égalité des sexes, conflits de race et de religion, violence et paranoïa collective, disparités économiques et excès de la société de consommation, sentiment d’appartenance et marginalité, relation entre mémoire et temps présent.

Le geste d’appropriation et de délocalisation, qui interrompt la relation de sens codifiée, permet de prendre du recul sur les stéréotypes et les traditions acquises. Le métissage de visions esthétiques propres à des contextes éloignés les uns des autres — culture de masse ou élitiste, officielle ou alternative — crée un effet de marginalisation qui altère notre façon de voir la réalité.

Les registres de l’incongru, du paradoxal, du grotesque, de l’ironique et de l’étrange sont autant de dispositifs utilisés par les artistes pour explorer le monde qui les entoure et le soumettre à notre évaluation critique. Le recours à des supports obsolètes, des techniques et des formes d’expression démodées participe de cette fonction de recherche des souvenirs perdus de l’Histoire sociale.

L’exploration des limites entre fiction et réalité, la mise en scène artificielle de la réalité et, inversement, la documentation soi-disant scientifique de situations fictives, est une manière de remettre en question les notions de vérité et de mensonge. (…) Comme le chien-protagoniste de la nouvelle de Kafka, ces artistes se posent des questions sur le sens de la création artistique, animés par une véritable passion pour la société humaine.

critique

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