ÉCHOS
07 Fév 2010

Les idées régulatrices de la critique

PSarah Ihler-Meyer
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La critique d’art serait en panne! Elle manquerait de nerfs et d’idées. A l’heure du relativisme, peu de critiques auraient assez d’idées sur l’art pour dépasser la simple anecdote.

La chose serait entendue: la plupart des critiques d’art, de cinéma ou encore de théâtre sont faibles, dénuées d’argumentations et, surtout, sans jugement sur les oeuvres. On croirait le plus souvent lire un simple communiqué de presse, pire, une annonce promotionnelle.

La raison de ce déclin d’un genre à l’origine «littéraire et subversif» (Marine Lafont) tient peut-être moins à l’incapacité des critiques qu’à un climat intellectuel globalement relativiste, hérité des théories de l’art anglo-saxonnes dont sont issus Gérard Genette et Jean-Marie Schaeffer.

Dans ce courant de pensée la traditionnelle question «Qu’est-ce que l’art?» est remplacée par la suivante: «Quand y a-t-il art?». Si ce déplacement a ses mérites — expliquer le fonctionnement symbolique des oeuvres d’art (Nelson Goodman, Arthur Danto) —, il a l’inconvénient de définir l’art comme ce qui n’est que «ce que l’on en fait», relatif à l’époque dans lequel il émerge sans nul caractère «intemporel» ou «essentiel».

Dans le cadre de cette pensée «molle» la critique d’art est réduite à la description, au constat de «ce qui est là». Bien qu’une mise en perspective des oeuvres soit possible, elle ne débouche pas sur l’articulation d’une «pensée» de l’art, puisqu’il faudrait pour cela avoir une Idée directrice, mais sur une sorte de «fresque historique».

L’écueil que la critique sans Idées directrices tente d’éviter est sans doute celui du discours normatif. C’est qu’une idée de l’art risque souvent de se confondre avec une norme arbitraire et intenable.
Pourtant, il existe une conception de «l’art en soi» ouverte par principe à toutes sortes de créations et d’époques.
Cet «art en soi nomme l’idée, la simple idée de la comparabilité universelle des oeuvres d’art, en l’absence même de toute propriété commune montrable ou démontrable» (Thierry de Duve). Cette propriété commune non démontrable pourrait être le dialogue toujours redistribuable du «dit» et du «sensible» autour d’un sens insensé (Jacques Rancière).

Se former une Idée de l’art est difficile mais obligatoire, car, pour reprendre les termes d’Olivier Assayas, une critique n’a d’intérêt que si elle pointe une certaine idée de l’art.

Bibliographie
— Thierry de Duve, «La Nouvelle donne. Remarques sur quelques qualifications du mot « art »», Juger l’art?, 2009, Publications de la Sorbonne.
— Jacques Rancière, Le Destin des images, La Fabriques, 2003.
— Marine Lafont, «La Critique a-t-elle perdu tout sens critique?», 22 janv. 2010, Télérama.

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