ART | CRITIQUE

Leonor Antunes, Claire Fontaine

PJulia Peker
@12 Jan 2008

Leonor Antunes et le collectif Claire Fontaine se partagent l’espace de la galerie Air de Paris : l’une met en relief l’intimité du point de vue, tandis que l’autre insiste sur la dimension politique de l’intervention artistique.

Un objet commun circule entre ces deux installations: le livre, utilisé comme carnet intime et support sculptural, ou comme pavé promis à la violence des émeutes.

L’installation de Leonor Antunes est tout entière dédiée au déploiement d’un immense livre accordéon, composé de photographies sur les deux faces. Toutes ces images représentent une vue de quartier depuis une fenêtre: sur la rambarde du petit balcon sont placées des sculptures aux formes énigmatiques. Chacune reprend tour à tour un des éléments d’architecture qui composent cette vue familière du quotidien : un pan de mur, un poteau, une suite de cheminées…

Au recto de l’ouvrage, la mise au point sur le fond provoque un effet de flou sur les sculptures au premier plan. Au verso, c’est le fond qui est plongé dans le flou. L’espace privé du seuil de la fenêtre et l’extériorité de la rue demeurent incommensurables, condamnant le regard à osciller de l’un à l’autre.
Montées en accordéon, les photographies se déplient comme les pages d’un livre. L’œuvre s’ouvre et s’offre, se déploie et se contourne, irréductible au regard synthétique.

Dans l’univers de Claire Fontaine, les livres n’ont plus la chaleur engageante des couvertures Moleskine de Leonor Antunes. Le livre pavé prend le relais de la douceur du carnet : posés à terre, ficelés, ils sont lourds par leur poids théorique et leur volume imposant. De Deleuze à Judith Butler en passant par Rancière, chacune de ces piles évoque un univers conceptuel intense et polémique.
En miroir est exposée une photographie d’émeutiers arrachant des briques pour les lancer avec violence. Récupérée sur internet, l’image est brouillée par un agrandissement inapproprié: le cliché documentaire s’efface pour laisser place à l’image universelle de la révolte.

Toutes ces pièces évoquent une rébellion politique avivée par la violence. Les deux néons sont des slogans illuminés par une même énergie protestataire: L’Eternité par les armes/larmes, dédié aux prisonniers politiques, et Il y a trop d’innumaniter est j’ai pas trouver mon droit, repris des campements des Enfants de Don Quichotte.

Tendu par le fil politique, le monde perd son particularisme réducteur pour s’ouvrir à l’universalité des slogans et situations. L’injustice des uns est l’affaire de tous, armes et larmes se croisent.

Claire Fontaine
— Brickbats, 2006. Vue d’ensemble. Briques et fragments de briques, tirages pigmentaires (encres ultrachrome) sur papier Archival. Bracelet élastique.
— L’Eternité par les astres; Compensateur, 2006. Néon, transformateurs, séquenceur électronique, système électrique, compensateur, deux lampes.
— Visions of the World (Greece, summer 2006), 2006. Duratrans, caisson lumineux, système électrique.
— Playstation PSP playing Guy Debord’s La Société du Spectacle, 2006. Playstation PSP, film mpeg4, mute.
— Il y a trop d’innumaniter est j’ai pas trouver mon droit, 2007. Néon Jaune

Leonor Antunes
— The Space of the Window, 2007.

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