ART | CRITIQUE

Le Travail de rivière

PAmélie Gaucher
@29 Mar 2009

De Man Ray à Stéphane Calais, en passant par Gina Pane, Gabriel Orozco, Jean-Luc Vilmouth, Saâdane Afif, l’exposition «Le Travail de rivière» décline au travers  d’un foisonnement exceptionnel d’œuvres la diversité et la force symbolique des matériaux artistiques.

Le joli titre Le Travail de rivière de l’exposition du Crédac, fait allusion aux matériaux de toutes sortes, façonnés par les eaux, qui apparaissent quand les rivières sont asséchées. Le propos consiste à explorer ce qui donne corps à l’œuvre d’art, et à présenter un éventail des matériaux sur lesquels les artistes modernes et contemporains ont travaillé.
On a ainsi affaire à un foisonnement exceptionnel d’œuvres faites de bois, de terre, de silex, de métal, de polystyrène, de roche, de strass, de sable, de verre, de cendre, de feutre, et bien sûr de papier, qui viennent s’ajouter aux substances qui ont constitué la matière de l’art depuis des siècles.
«Le Travail de rivière» se présente comme une collection des ressources végétales, minérales, industrielles, dont les artistes s’emparent pour faire œuvre, et une tentative d’interroger la portée symbolique de ces différents matériaux.

Les éléments naturels tiennent une place fondamentale et intemporelle dans la création. L’œuvre Changer en île de Raphaël Zarka, composée de trois photographies prises selon trois angles différents, du gros plan à la vue d’ensemble, représente un paysage d’arbres et de roches vide l’homme. Est ainsi reconstitué un environnement naturel, végétal et minéral, hors du temps, dépourvu d’empreinte humaine. Changer en île souligne le rapport paradoxal que l’homme entretient avec la nature, puisque la présence de l’artiste est nécessaire à la capture de l’image, la nature sauvage figurée est aussi une construction culturelle.

Au contraire, dans la vidéo L’Arbre de Virginie Yassef et Julien Prévieux, l’état de nature est brutalement humain, sous la forme d’un face à face des deux artistes en train de dévorer un tronc d’arbre avec une violence carnassière. L’arbre, qui est leur proie, quitte ainsi le règne végétal pour rejoindre le règne animal. Et la vidéo exprime l’instinct de domination de l’homme sur son environnement, menacé d’être un objet de l’humaine convoitise.

La photographie Terre protégée II de Gina Pane, désigne une manière plus pacifique de faire corps avec la nature. L’artiste est couchée à même le sol, les bras grands ouverts embrassant d’un seul geste la ligne d’horizon. L’horizontalité du corps de Gina Pane se confond ainsi avec celle du ciel et de la terre, c’est aussi la position du trépas qui rappelle que l’homme n’est qu’un élément parmi d’autres de son milieu.

Des œuvres sont aussi faites d’éléments matériels entièrement fabriqués par l’homme. La sculpture en polystyrène Sorcière, de Vincent Beaurin, se compose d’un cylindre recouvert de paillettes et de silex accroché. Elle opère un rapprochement original d’éléments très éloignés le plan des matériaux comme sur le plan symbolique. Sont ainsi mis au même niveau la permanence — le titre Sorcière renvoyant à une figure légendaire, ou la taille du silex à technique ancestrale —, avec la fugacité (le polystyrène), ou des choses qui tapent à l’œil (les paillettes).

Dans une autre salle, les Crampons de Nathalie Talec suscitent des associations symboliques. Posés sur un socle parmi d’autres œuvres, le strass qui recouvre ces Crampons attire l’œil par leur éclat artificiel qui fait imaginer que, chaussés aux pieds, ils rivaliserait avec la brillance naturelle de la neige.

Cette investigation des matériaux les plus caractéristiques peut aussi mener à une forme d’austérité, notamment avec Weltempfanger d’Isa Genzken. D’un rectangle de béton posé horizontalement sortent deux bouts d’antenne télescopique. Arrachés de leur contexte, ces symboles de l’urbanité font l’objets d’une attention qui tranche avec leur quasi-invisibilité dans la quotidienneté urbaine.

De salle en salle, dans une abondance de formes et de textures très variées, les œuvres correspondent entre elles. Elles rendent visibles la patine du temps sur la matière. L’œuvre + and – de Mona Hatoum est un réceptacle de bois contenant du sable. Une lame de métal balaie ce sable dans un mouvement mécanique et circulaire sans fin. Le sable, comme matériau de cette œuvre, évoque ainsi le temps qui s’écoule à la manière d’un sablier. Tandis que + and – aborde le temps qui passe comme un éternel recommencement, Oyster (Méduse) de Daniel Dewar & Grégory Gicquel vise à le contrecarrer. Cette méduse-là qui est trivialement cette sorte de sandale de plastique réservée à la baignade, est recouverte de verre. L’emploi du verre vient bloquer la fonction d’usage de l’objet de consommation, mais aussi suspendre l’œuvre dans un état de fossile, hors du temps…

Raphaël Zarka
— Changer en île # 1, # 2, # 3, 2004. Photographies couleur. 70 x 100 cm chacune

Virginie Yassef & Julien Prévieux
— L’Arbre, 2008. Film super 8 transféré sur dvd. 7 minutes. Caméra : Aurélie Godard

Gina Pane
— Terre protégée II (Pinerolo), 1970. Photographie argentique noir et blanc, tirage 2004. 100 x 67,5 cm.

Nathalie Talec
— Crampons, 2008. Métal, strass. 2,50 x 9,50 x 14 cm

Vincent Beaurin
— Sorcière, 2007. Polystyrène, paillettes, silex. 55 x 21 cm.

Isa Genzken
— Weltempfanger (World Receiver), 1992. Béton, antenne télescopique. 38 x 41 x 8 cm (antenne déployée : 143 cm).

 Mona Hatoum
— + and –, 1994. Bois, sable, métal, moteur électrique. 8 x 30 x 30 cm.

Daniel Dewar & Grégory Gicquel
— Oyster, 2009. Verre, 80 x 40 cm.

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