ÉDITOS

Le cours des choses

PAndré Rouillé

Pourquoi devons-nous, en France, toujours critiquer, même des plus belles réussites comme celle que vient de remporter le ministre de la Culture, dont le budget augmente allégrement cette année de 5,4% ?
Alors que le ministre ne dissimule pas sa satisfaction devant l’augmentation la plus importante de tout le Gouvernement, alors qu’il se plaît à souligner que cela «traduit la priorité que le Gouvernement accorde à la culture»,

il n’a pas manqué d’esprits chagrins, à l’Assemblée nationale le 24 octobre dernier, pour souligner que «cette croissance est optique, s’expliquant par la baisse brutale de l’an passé» (Patrick Bloche).

Il se dit également que la nette priorité accordée dans ce budget au théâtre vivant n’est pas sans lien avec les mobilisations des intermittents du spectacles.

Il est en outre incontestable que l’art contemporain est le grand laissé pour compte du budget.
Cela est tellement évident que la rapporteure de la Commission des affaires culturelles, Madame Muriel Marland-Militello, s’en est elle-même émue à l’Assemblée où, non sans habileté, elle a réussi à se prononcer pour un vote favorable du budget, à s’assurer les applaudissements des députés de la majorité, et à lucidement critiquer les orientations ministérielles qui se font presque systématiquement au détriment de la «création contemporaine».

Cette défaveur dont souffre la création contemporaine a d’ailleurs conduit la rapporteure de la Commission des affaires culturelles, lors de la présentation de son rapport, à proclamer sa «solidarité envers les créateurs d’art contemporain, éternels parents pauvres du budget de la culture qui ne disposent d’aucun syndicat ou groupe de pression pour se faire entendre».

Son soutien personnel à la création contemporaine, et sa conviction citoyenne selon laquelle «c’est toute la vitalité de notre société qui se mesure à cette création», viennent l’un et l’autre buter sur ce fait têtu: «Les dotations pour 2004 [en faveur de l’art contemporain] marquent le pas. Elles s’établissent à moins de 5 % du budget total du ministère».

On devine enfin que Madame la rapporteure se compte parmi ceux qui sont «séduits» par ce «lieu de vie et de liberté» qu’est la Palais de Tokyo, et qu’elle apprécie à leur juste valeur les «risques» nécessaires qui sont pris là pour «traduire le bouillonnement créatif de notre époque».

Cette parole autorisée, d’une audacieuse clairvoyance, tranche heureusement avec les discours d’autosatisfaction, et fait forcément écho à la situation des arts plastiques, «grands oubliés» des choix ministériels; au retour à l’ordre annoncé au Palais de Tokyo; sans parler des dernières expulsions des trois squats d’artistes de la rue des Couronnes. Pour ne parler que de Paris.

Pourtant, chacun admettra que l’art contemporain a besoin d’une impulsion forte, et que les institutions peuvent enclencher des dynamiques vertueuses. Pour elles, en effet, «acquérir des œuvres contemporaines, c’est enrichir le patrimoine, mais également défendre le marché de l’art, qui lui-même entretient l’activité des galeries, lesquelles soutiennent les jeunes artistes»… On songe à la belle vidéo Le Cours des choses de Peter Fischli et David Weiss, mais dans laquelle l’espoir serait à l’horizon.

André Rouillé

Lire l’intervention de Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure, lors de la discussion de la loi de finances 2004 (budget de la culture) à l’Assemblée nationale

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Gerwald Rockenshaub, Untitled, 2003. Quatre coussins d’air rouge, violet, argent et vert en PVC. 120 x 120 x 80 cm. Photo et courtesy Galerie Thaddaeus Ropac et Carles Duprat.

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