ÉDITOS

Le contrat de confiance des artistes-squatteurs

PAndré Rouillé

Si la lutte des classes, dont la fin est sans cesse annoncée, n’en finit pas de finir, la rhétorique de la lutte (finale) a fait place à celle du dialogue social. La recherche du consensus et des accords s’est substituée à la pratique de l’affrontement. En art comme dans d’autres secteurs. C’est bien ce qui ressort de la Charte élaborée par des artistes des Collectifs d’Interface qui ont en commun d’avoir «investi sans droit ni titre des locaux laissés vacants par leurs propriétaires».

Si la lutte des classes, dont la fin est sans cesse annoncée, n’en finit pas de finir, la rhétorique de la lutte (finale) a fait place à celle du dialogue social. La recherche du consensus et des accords s’est substituée à la pratique de l’affrontement. En art comme dans d’autres secteurs.
C’est bien ce qui ressort de la Charte élaborée par des artistes des Collectifs d’Interface qui ont en commun d’avoir «investi sans droit ni titre des locaux laissés vacants par leurs propriétaires».
Autrement dit, les artistes-squatteurs tentent d’inventer de nouvelles relations dans lesquelles le propriétaire foncier squatté passerait du rôle d’adversaire à celui de partenaire des artistes, voire de mécène. Le dialogue et les accords contractuels comme alternative à la (trop) longue spirale transgression-répression.

On songe au fameux «Manifeste des 343 salopes » de 1971 dans lequel des femmes s’élevaient contre les avortements clandestins auxquelles elles étaient contraintes : «Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre». Au-delà des différences de domaines, c’est la même affirmation d’une illégalité assumée, imposée par une situation inique. Braver la loi par nécessité, pour survivre.
L’époque a changé, le ton et les stratégies également. Le «manifeste» est devenu «charte», la revendication du juste droit à disposer de son corps s’est faite proposition pour la définition des conditions d’usage temporaire d’un lieu, avec pour principe d’échanger le droit d’occuper contre des services.

On sent évidemment dans cette stratégie le changement d’époque, mais aussi le poids et la fatigue des longs combats solitaires, des expulsions policières et des énergies gaspillées dans de vaines procédures judicaires. On sent également les inégalités de pouvoir entre les parties, et peut-être un légitime découragement devant une forme d’indifférence endémique des autorités. Puisque, manifestement, rien de décisif ne sera entrepris pour proposer aux artistes les conditions indispensables pour créer, autant faire le dos rond.

La perte de confiance vis-à-vis des pouvoirs publics, y compris municipaux, semble si forte qu’aucune allusion n’est même faite à la moindre résistance à la loi de «sécurité intérieure», dont les artistes-squatteurs auront, une fois encore, à souffrir.

Les artistes à l’initiative de cette Charte ont sans doute pensé, et c’est encore un symptôme de l’époque, que la négativité n’était plus le moteur de la créativité. Ou que la négativité était à rechercher dans l’exercice de leur art plus que dans la lutte pour la simple survie et la possibilité élémentaire de travailler. Déplacer vers la création elle-même les énergies de la (sur)vie.

Les positions adoptées, et les analyses qui les sous-tendent, prêtent évidemment à débat. Mais dans l’immédiat, la Charte mérite d’être soutenue, diffusée et signée. Même si signer n’est pas toujours totalement adhérer…

André Rouillé

Pour consulter la Charte des Collectifs d’Interface: cliquer.
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Juan Fernando Herran, Sans titre (Grass Piece), 1993. Vidéo de performance. Photo: Marc Domage, Courtesy: Le Plateau.

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