ART | CRITIQUE

Le bénévolat dans l’action

PSandrine Morsillo
@31 Déc 2001

Bande-dessinée, science-fiction, démonstration scientifique, univers numérique, photographies, sculptures, vidéos, dessins, clones de lui-même: que cherche donc à faire Gilles Barbier? Peut-être se transporter «vers un lieu où tout est possible».

Faire quelque chose avec n’importe quoi, tel est le titre de l’une des photographies exposées. Ce principe s’applique-t-il à l’oeuvre de Barbier, qui se compose tour à tour de photographies, sculptures, vidéos, dessins, installations et de mises en scène de clones de « lui-même »?
Les clones sont des personnages que Gilles Barbier a créés à son image en 1995 (avec l’oeuvre: Comment mieux guider votre vie au quotidien) et qui l’accompagnent depuis dans son parcours artistique. Le clone permet de renvoyer l’artiste à une virtualité, c’est, explique-t-il, « une opération qui consiste à son tour à le convertir en fiction ».

Ici les deux clones sont des moulages de cire, habillés de vêtements ordinaires. L’un est assis sur des coussins multicolores, adossé au mur, il paraît abattu; l’autre est debout, figé en position de marche. L’un et l’autre ne semblent pas être ce qu’ils sont dans la « réalité de Barbier ». Car ce sont des petits bouts de papier accrochés aux clones, appelés « correcteurs de réalité » qui permettent au spectateur de se représenter autre chose que ce qu’il voit et donc d’entrer dans une « représentation de la représentation ». D’après les titres, les clones ainsi « corrigés » seraient donc La Jolie Fille et Le Chien.

Sans doute faut-il croire Barbier lorsqu’il dit que « les clones peuvent servir d’unité de transfert de soi vers un lieu où tout est possible ». Car, dans son univers les objets parlent. Ainsi, l’installation intitulée Heeeh ! est composée d’une nappe à carreaux posée au sol de la galerie, sur laquelle sont disposés des éléments composant un pique-nique (poulet en cire, bouteille de coca, verres en carton, etc.). Ce déjeuner sur le sol ne montre aucun personnage mais des phylactères en volume, collés aux objets et au sol, qui présentifient l’absence de personnages et donnent néanmoins l’impression d’une conversation.

En gardant cette idée « d’un lieu où tout est possible » pour la série de photographies (épreuves chromogènes sous diasec) appelée Les aventures de la fiction, nous basculons dans un autre monde, aux confins de la science-fiction. Ces images ont des aspects lisses. Rehaussées de couleurs, elles évoquent des paysages spatiaux et des couchers de soleil. A y regarder de plus près, une incertitude pointe : où est-on ? Et l’on navigue à vue entre surfaces et profondeurs, reflets, transparences, ombres projetées, jeux de volumes nuageux sur plans de liquidité et superpositions de textes.

Associées aux textes, ces photographies renvoient à des images scientifiques, elles expliquent le développement d’un être où l’esprit fonctionnerait selon ce que l’artiste appelle Une réalité de la poche d’existence et de la fiction. Des réels qualifiés de type lisse et selon les fictions émises de type gruyère sont en rapport de tensions.

La fiction n’est pas ici qu’un mode de création, c’est une entité qui possède un noyau cellulaire. Nous sommes donc pris dans les aventures d’une Poche d’existence. Dans une démonstration cartographiée apparaissent alors d’autres éléments appelés : Une double poche d’existence, La fiction crachée par la poche d’existence et des potens (potentialités). On peut d’ailleurs voir la poche d’existence en coupe. C’est l’histoire de la constitution d’un organisme qui crée un environnement et du même coup se crée lui-même. Outre l’histoire, quelque chose nous parvient en écho: la complexité de ce système artistique en élaboration où tout est récupéré et intégré.

Bande-dessinée, science-fiction, démonstration scientifique, univers numérique, nous voici dans un monde où le réel ne serait pas le réel mais une simulation de réel créée par l’artiste. Et qui plus est, ce monde nous permettrait d’accéder à la conscience créatrice de l’artiste où des pièces anciennes sont réinjectées dans les nouvelles. L’accent n’est pas mis sur les procédures instauratrices tendues vers la seule réalisation des oeuvres, elles déplacent l’attention vers le processus lui-même.
Le triptyque reproduisant les pages du manuel Photoshop n’est-il pas une aide supplémentaire pour comprendre qu’avec la machine à trafiquer les images on peut faire quelque chose à partir de n’importe quoi?

Nous assistons à travers une fiction réelle à la réalité fictive de l’élaboration d’une œuvre et de l’artiste. Car plus que du travail en train de se faire, Gilles Barbier parle d’un « couplage structurel (entre un synopsis instable et son environnement) dont la seule expression serait la maintenance de la machine », autrement dit peut-être une façon de maintenir en vie le personnage de l’artiste ?

(Les phrases entre guillemets sont extraites d’un entretien avec l’artiste).

Gilles Barbier
— La Jolie Fille, 2001. Cire, vêtements, papier. Dimensions variables
— Le Chien, 2000. Cire, vêtements, papier, 175 x 50 x 30 cm
— Heeeh ! 2000. Douze bulles en résine, un poulet en cire, une nappe, 39 aliments divers. Dimensions variables
— Dialogue fossile, 2001. Plâtre, polyester. 35 x 30 x 5 cm
— Trou de balle dans la tête, 2001. Technique mixte. 22 x 6 x 5 cm
— Les bonnes et les mauvaises manières, 2001. Technique mixte. Dimensions variables
— Le chapeau de Tourette, 2001. Chapeau, système. Dimensions variables
— Manuel photoshop 5 et 5.5, 2000. Triptyque. Encre, gouache sur papier. Chacune 215 x 215 cm
— Filtre rafraîchissant, 2001. Plexiglas thermoformé. Edition de trois (vert, blanc, rouge). Dimensions variables.
— Faire quelque chose avec n’importe quoi, 2001. Epreuve chromogène. 120 x 220 cm
— Double syndrome d’Hiroshima, 2001. Diptyque. Epreuves chromogènes. 120 x 170 cm

Série de sept épreuves chromogènes (2001): Les aventures de la poche d’existence, 2001.
—Une double poche émet deux fictions au même moment. 120 x 120
— Réel dépourvu de fiction. 120 x 170
— Coupe d’une poche d’existence. 120 x 170
— Réel avec fiction. 120 x 170 cm
— Partage de la fiction. 120 x 170 cm
— Emission d’une fiction. 120 x 170 cm
— Formation d’un trou. 120 x 280 cm

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