ART | CRITIQUE

Labyrinth

PEmmanuel Posnic
@26 Mai 2007

Dans l’un des parcs de Strasbourg, un arbre n’a pas résisté à la tempête. Il se retrouve au sol, gisant sur le flanc, monstrueux dans son immense carcasse sans vie, magnifique dans sa complainte et dans la déchirure qui l’a extirpée de la terre. Son écorce est couverte de toutes les inscriptions qui, à travers les âges, ont fait la jeunesse des histoires d’amour.

Dans l’un des parcs de Strasbourg, un arbre n’a pas résisté à la tempête. Il se retrouve au sol, gisant sur le flanc, monstrueux dans son immense carcasse sans vie, magnifique dans sa complainte et dans la déchirure qui l’a extirpée de la terre. Son écorce est couverte de toutes les inscriptions qui, à travers les âges, ont fait la jeunesse des histoires d’amour.

Jimmie Durham le découvre tel quel, intrigué par sa puissance d’évocation mais pas encore décidé sur son devenir. Il le débite en tranches épaisses et, dans le creux de la découpe, s’arrête sur des signes manifestes de traversée de balles: sept balles auraient ainsi perforé l’arbre. Une analyse plus précise révélera même que ces balles dataient de la Seconde Guerre mondiale et que certaines d’entre elles ont tué des hommes avant de se ficher dans la peau de l’arbre.

Autour des cavités formées par leur trajectoire, d’autres cavités plus sinueuses tracées cette fois-ci par les insectes. Les tranches de Jimmie Durham révèlent cette contorsion du temps, la fulgurance de la balle d’armes à feu face à la patience du travail de l’insecte. Mais pas uniquement. Jimmie Durham intervient lui-même sur ces planches. Il en reprend le récit par moments, il lui donne également une densité graphique, une matérialité qui pourrait échapper à une vision dispersée.

Labyrinth, l’exposition qu’il présente chez Michel Rein, dans l’Atelier Calder à Saché en juin puis au Château d’Oiron (du 23 juin au 30 septembre), regroupe ces planches: il les dépose ou les accroche contre les murs de la galerie. Quelques unes simplement qui, dans le dénuement de la scénographie, suffisent à entrevoir chez elles une étonnante physicalité, comme si l’arbre vivait encore à l’intérieur de ses débris.
Car derrière ces planches se glisse l’idée de la relique, l’idée du témoignage divinatoire surgissant au milieu des hommes. Mais plus encore. Derrière elles, il y a l’écorché et la beauté répulsive des corps que l’on dissèque et traverse. On retrouve là l’attrait de Jimmie Durham pour la surface en instance d’éclatement, la peau boursouflée juste avant le chaos complet: Durham aime la planéité mais seulement lorsqu’elle est trahie par la matière qui la constitue.
Ici, la surface de l’arbre révèle ses failles, et dans ces failles, l’artiste va réitérer, souligner, sublimer le geste de la blessure. Il va réécrire le récit, désigner les plaies au crayon rouge, retranspercer les planches à coup de fusil, accoler des feuilles d’or, installer des béquilles métalliques pour éviter la rupture.

Au-delà du récit, au-delà du récolement (on se rapproche du travail de restauration), au-delà de la transfiguration de l’arbre en objet martyr, Jimmie Durham accomplit un geste artistique. Un geste englobant qui prend en compte la synchronisation de l’histoire, la vie de l’arbre venant se frotter à la réalité d’une guerre puis à celle plus anodine des amours épistolaires.
Un geste aux dimensions poétiques prenant place dans un contexte d’exposition qui n’atténue pas l’autoritarisme de ses intentions et la violence de son intervention. Un geste symbolique pour finir qui replace la mort de l’arbre au contact du réel et des conflits contemporains.

En somme, le Labyrinth de Jimmie Durham signifie la rupture avec la surface et son aire d’enjeux artistiques. Durham les déplace dans le creux de la matière, à l’endroit où celle-ci découvre sa chair décomposée, littéralement dans les galeries creusées par les armes et les insectes. Le Labyrinth ressemble aussi au dédale dans lequel les hommes se perdent et avancent à l’aveugle, métaphore ô combien précieuse de notre incapacité à nous réveiller.

Jimmie Durham
— Acrylique et fer sur bois, 2007. Acrylic paint, metal, wood. 162 x 118 x 16 cm.
— Shot With A 22 Automatic And A 38 Revolver, 2007. Wood, mixed media. 64 x 79 x 6 cm.
— Slash And Burn, 2007. Wood, mixed media. 92 x 86 x 6,5 cm.
— Weeks And Hours And Similar Divisions Are Human Inventions, 2007. Wood, mixed media, base. 72 x 71 x 71 cm. Top piece: 27,5 x 14,5 x 19 cm.

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