ART | EXPO

La suspension d’incroyance

20 Juin - 30 Sep 2012
Vernissage le 19 Juin 2012

Au-delà de ces enjeux esthétiques, par ses emprunts aux productions gastronomiques, le travail de Nicolas Boulard interroge notre rapport à des questions sociétales actuelles comme le territoire et la durabilité. Son œuvre est d’une inconvenante mais nécessaire hétérogénéité, sorte d’encouragement à la désobéissance et à la vigilance, contre le conformisme.

Nicolas Boulard
La suspension d’incroyance

Nicolas Boulard est un artiste familier du territoire alsacien: il y avait été accueilli en résidence en 2004 dans le contexte du programme de coopération entre les Frac du Grand Est, et il est l’auteur du Clos du Frac, le jardin créé en 2010 et que le Frac Alsace lui a commandé dans le cadre de sa politique de jardins d’artistes.

Depuis une dizaine d’années, Nicolas Boulard construit une oeuvre plastique singulière, à la croisée de champs de savoir et de pratiques qui n’entretiennent d’ordinaire aucun rapport les uns avec les autres. Le domaine de la gastronomie et plus spécifiquement la viticulture sont ici le point de départ d’une investigation des modalités de la création artistique. Issu d’une famille de viticulteurs, Nicolas Boulard interroge l’art à l’aune de sa culture personnelle familiale et de sa connaissance approfondie des procédés agricoles. De manière réciproque, c’est avec un plaisir certain qu’il bouscule les règles de la viticulture en lui tendant le miroir de l’art. Dès sa formation, il soutient simultanément deux diplômes, en art et en communication, domaines traditionnellement considérés comme peu conciliables. Il passe ces deux diplômes avec une seule et même œuvre intitulée Cuvée 2001, un vin impossible: une vinification de vin de Champagne selon un procédé de vendange tardive, ce qui est absolument interdit en Champagne. Mais l’oeuvre ne se résume pas à une recette et à un contenu, elle revendique aussi une présence physique et graphique. Elle se donne à voir comme un agencement particulier de bouteilles sur le mur, l’espace classiquement dévolu à la peinture. Finement boisé (2007) et Nuancier plombé (2011) sont des œuvres hybrides composées en revendiquant des références à la fois picturales et vinicoles, mais qui débordent ces champs pour affirmer la dimension plastique et visuelle nécessaire à les inscrire dans le champ de l’art.

Pour Nicolas Boulard, l’art procède de l’assemblage, comme la plupart des vins. Et tout en continuant à questionner la tension historique entre nature et culture, il fonde toute son œuvre sur une politique — pour ne pas parler d’une éthique — du croisement et du chevauchement. Son travail se construit en mêlant de manière hétérogène le vocabulaire et la grammaire artistiques à des emprunts à d’autres domaines exogènes. Il donne ainsi à des publics très différents le sentiment de l’aborder facilement, même s’ils en gardent un goût indéfinissable, comme si quelque chose leur avait quand même un peu échappé. L’appartenance au champ de l’art passe ici par une transgression des disciplines, c’est un travail somme toute interdisciplinaire et «indiscipliné». Cette indiscipline induit un déplacement des règles et des processus, qui sont le propre des savoir-faire et des appellations, en art comme dans d’autres productions. Mais pour Nicolas Boulard, l’essence d’une œuvre d’art ne réside pas tant dans le résultat final, ni dans le geste ou l’empreinte subjective de l’artiste dans le faire, que dans l’activation d’un processus singulier, et dans l’observation et la gestion de ses conséquences. Il peut ainsi librement interroger l’effet de ces procédures, assemblées mais aussi recontextualisées.

Nicolas Boulard a choisi d’intituler son exposition au Frac Alsace «La suspension d’incroyance». On appelle d’ordinaire «suspension d’incroyance» l’attitude mentale courante, au cinéma ou en littérature, où la rationalité cède le pas à l’imaginaire. à un moment précis de son expérience du film ou du livre — donc de l’expérience esthétique — le sujet met consciemment son sens critique en suspens pour s’autoriser à croire à ce qui serait impossible dans la réalité, et qu’il aurait refusé. C’est le propre de l’oeuvre que d’ouvrir sans risque — autre que celui de l’esprit — à un pur imaginaire. Ainsi en irait-il de cette exposition de Nicolas Boulard, comme si l’art refusait de jouer le jeu attendu de la matérialité et de la visibilité? En mettant en cause la relation entre le visible et la réalité, le visiteur serait alors invité à jouer de sa libre subjectivité?

AUTRES EVENEMENTS ART