ART | CRITIQUE

La Recherche

PSarah Ihler-Meyer
@06 Mai 2009

La Recherche réunit des artistes dont l’objet d’étude est par définition infini, mouvant et incertain. L’individualité, l’état des connaissances d’une époque et l’inquiétante étrangeté sont au nombre de ces questions sans réponses définitives.

L’individualité est un tout complexe et indivisible. Les éléments qui constituent une personnalité sont pris les uns dans les autres, s’impliquent les uns les autres. Dans un langage de logicien X n’est pas E et F, X est E parce qu’il est F. En clair, Paul n’est pas prétentieux et irrespectueux, il est irrespectueux parce que prétentieux. De fait, l’individualité échappe par définition à toute réduction. Impossible de dire de telle personne qu’elle est uniquement F si F implique aussi E.

Cette aporie est au cœur des sérigraphies de Thomas Bayrle. Chacune d’elles se présente comme un graphique composé de chiffres, de lignes et de lettres, d’où émergent les contours de visages. Seules des silhouettes apparaissent de telle sorte que le graphique, dans sa volonté de digitaliser l’individu, c’est-à-dire de le réduire à des unités distinctes, échoue.

L’irréductibilité de l’individu travaille également  Postman Time de Philippe Parreno. Cette photographie montre un ventriloque derrière une énorme loupe. On ne voit que sa tête, le reste de son corps se fond dans le noir. De manière paradoxale, alors que la loupe est censée révéler ce qui est, elle révèle ici l’autre dans le même. En effet, à travers ce médium, le visage du ventriloque est empreint d’étrangeté : métaphoriquement double, ce personnage se fait littéralement duel.

Untitled de Trisha Donnelly poursuit cette recherche de l’indéterminable. Le flou entre l’animé et l’inanimé, aussi appelé inquiétante étrangeté, est au cœur de cette vidéo. Un guépard empaillé est filmé en gros plan. Cette image est régulièrement brouillée par une longue secousse. L’aspect vivant de l’animal conjugué à cette vibration nous fait douter de son statut. Habitués à distinguer l’animé de l’inanimé, nos repères sont ici troublés.

Avec University of Utah (#1C) Liam Gillick produit une translation plastique d’un état des connaissances, état par principe éphémère. Cette œuvre fait référence aux savoirs et aux dispositions techniques impliqués par la création des premiers jeux vidéo.
Des morceaux de plexiglas garnissent les deux côtés d’une structure rectangulaire en aluminium. Ainsi, à l’image des premiers jeux vidéo en 2D, cette sculpture est faite de deux plans nettement séparés, premier stade de la recherche en informatique.

Pour sa part Leonor Antunes introduit avec Folded Back Against The Pillars et Discrepancies With E. G. II du mouvement dans un corpus pourtant clos, celui d’Eileen Gray, figure majeure du design moderniste. Plus précisément, ses pièces explorent les potentialités contenues dans les objets mobiliers du designer jusqu’à aboutir à leurs contraires : le dur devient mou, le rigide s’affaisse, la rationalité fonctionnelle aboutit à l’irrationalité.

Qu’il s’agisse d’individualité, d’inquiétante étrangeté, d’état des connaissances ou du questionnement d’une œuvre déjà existante, chacun des artistes ici rassemblés a pour horizon l’indéterminable.

Leonor Antunes
— Folded back against the pillars, 2008. Deux éléments, cuir beige et cordelette noires. 148 x 230 cm, 230 x 30 cm.
— Discrepancies with E.G.II, 2008. Etagère bois, collages sous plexiglas, spot. Dimensions variables.

Thomas Bayrle
— Sparbuch, 1973. Impression sérigraphique sur carte. 68,5 x 55,5 cm.
— Börsenbericht, 1972. Impression sérigraphique sur carte. 68,5 x 55,5 cm.

Trisha Donnelly
— Untitled, 2005. Dvd en boucle.

Liam Gillick
— University of Utah (#1C), 2001. Aluminium anodisé, plexiglas opaque. 200 x 200 x 30 cm.

Philippe Parreno
— Postman Time, 2007. Encre sur tirage numérique contrecollé sur aluminium, cadre létal et verre anti-reflets et anti-uv. 153 x 102 cm.

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