ART | CRITIQUE

La Partie continue (1)

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Œuvres rassemblées autour de quelques motifs modernistes élémentaires: le cercle et ses dérivés (la sphère, le disque, le point), le carré, les couleurs primaires, le monochrome, le blanc et le noir, mais aussi le socle, la grille et le monumental.

D’entrée de jeu, Claire Le Restif, nouvelle directrice du Credac, propose une exposition aux vertus pédagogiques incontestables. Partant du constat que «l’art se nourrit de l’art», des échantillons de cette vampirisation sont ici rassemblés, autour de quelques motifs modernistes élémentaires, tels que le cercle et ses dérivés (la sphère, le disque, le point), le carré, les couleurs primaires, le monochrome, le blanc et le noir, mais aussi le socle, la grille et le monumental. Le spectateur est ainsi invité au petit jeu des énigmes : trouver les références, et les différences. Car si les artistes «citent, reprennent, rejouent, se réfèrent, recyclent, recombinent», à l’évidence l’enjeu est ailleurs.

Ainsi la Pièce d’angle de Nicolas Chardon cite Malevitch et son carré noir (mais aussi Tatline et ses reliefs d’angle), mais sans trace d’une quelconque métaphysique, suprématiste ou autre. La toile vichy, qui sert de support, de trame et de modèle, est d’un prosaïsme ménager tel qu’il rompt, avec malice, le charme spirituel, et désincarné, originel. Et que dire de la trivialité de l’installation mondrianesque de Matthieu Mercier, façonnée à base d’étagères noires, et d’ustensiles bleu, rouge, jaune, made by IKEA.

Karina Bisch propose bien des grilles géométriques aux accents tout aussi modernistes, mais elles se révèlent vite simplement abstraites du réel par décalcomanie de maisons à colombages, ou de façades d’immeubles, «qui ressemblent tellement à des tableaux qu’ils rendent absurde toute croyance en une autonomie de la peinture». Dixit l’artiste, qui « oublie » ses croûtes encore humides, et les abandonne à leurs craquelures. L’art cinétique semble remis au goût du jour par Christian Robert-Tissot, et ses Disques d’attente noir et blanc, qui tournent à la vitesse d’un tour/seconde. Version matérielle de ceux qui à l’écran annoncent l’imminence de la connexion au réseau. Version hypnotique qui se contente d’un branchement sur l’irréversible écoulement du temps.

Les références peuvent d’ailleurs être plus anciennes. Les miroirs légèrement déformants de Didier Marcel, qui occupent dans la galerie la place qui fut celle de la fenêtre dans le tableau, sont positionnés devant une porte de telle sorte que s’y produisent des rencontres fortuites et inattendues de spectateurs. L’œil immense, convexe, mais vide, de Stéphane Calais, comme un gros plan façon BD sur le célèbre motif des Arnolfini de Van Eyck, s’avérerait aveugle au monde d’aujourd’hui sans un graffiti bombé en vert fluo qui signe son impuissance.

Une fois encore il apparaît, et c’est sans doute la leçon de cette exposition, que ce n’est pas par sa représentation, figurative ou non, que la vie irrigue l’art, mais bien par les matériaux et les process mis en œuvre, qui empruntent (ou volent), au passage, aux formes de l’art.

La partie continue donc, mais les règles changent. Si bien d’ailleurs qu’elle risque de continuer encore longtemps, à l’instar de la partie de tennis sans fin à laquelle s’adonne sans lassitude ni fatigue les petits fantômes de Jacques Julien. Une boule de neige est lancée, dévalant une piste, sans ligne d’arrivée (Snow Ball, 2003). Une partie vouée à l’éternité en somme, dont la transformation des règles, au gré du temps et de la vie, serait l’un des enjeux. Une partie, à l’écran de laquelle ne saurait s’afficher cette sentence à jamais trop définitive : «Game is over».

— Karina Bisch, Fachwerk-bauten, 2003. Toile noire adhésive. Dimensions variables.
— Karina Bisch, Poison Ivry, 2003. Bois, plâtre. 100 x 100 cm.
— Karina Bisch, Brixton, 2002. Acrylique sur toile. 80 x 90 cm.
— Karina Bisch, Manhattan Ice Cream, 2003. Acrylique sur toile. 20 x 60 cm.
— Stéphane Calais, Brooklyn style, 2002. Dessin mural. 430 x 556 cm.
— Stéphane Calais, Blindy Blinky, 2003. Sculpture en papier, acier et colle sur papier. 75 x 55 x 18 cm.
— Nicolas Chardon, Mobile rouge, 2003. Acrylique sur bois. 100 x 100 cm.
— Nicolas Chardon, Pièce d’angle – Vichy rouge, 2003. Quatre tableaux : acrylique sur toile Vichy. 50 x 50 cm et 300 x 50 cm.
— Philippe Decrauzat, Sans titre, 2003. Acrylique sur toile.
— Barbara Gallucci, Begin again, 1999. Vidéo et tapis. Dimensions variables.
— Jacques Julien, Tennis Ghosts, 2003. Vidéo en boucle.
— Jacques Julien, Snow Ball, 2003. Vidéo en boucle.
— Jacques Julien, Zozio II, 2003. Sculpture en résine polyester. 230 cm.
— Didier Marcel, Sans titre, 2002. Inox poli, miroir, motifs sérigraphiés.
— Matthieu Mercier, Drum and Bass 2, 2003. Étagère, rouleau de papier, boîte de rangement. dim variable
— François Morellet, Sphère-Trames, 1970. sculpture en acier inoxydable. Diamètre 60 cm.
— Olivier Mosset, Sans titre, 1970. Acrylique sur toile. 102 x 100 cm.
— Christian Robert-Tissot, Sans titre, 2002. 3 disques en plexiglas, 3 moteurs électriques. 30 x 10 cm.

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