ART | EXPO

La matière grise

25 Mai - 21 Juil 2013
Vernissage le 25 Mai 2013

Première grande exposition personnelle de Daniel Firman dans un musée, «La matière grise» révèle toutes les facettes de son œuvre. Il a intégralement redessiné l’espace et présente, dans une scénographie entièrement nouvelle, des œuvres déjà «historiques» qu’il associe à des créations inédites.

Daniel Firman
La matière grise

L’intérêt que nourrit Daniel Firman pour tout ce qui constitue aujourd’hui la sculpture est composé «à la manière d’une partition». Des références iconographiques et chorégraphiques jusqu’aux questions les plus liées à la tradition et la sculpture (moulage, corps, réalisme), du son à l’espace, du geste à l’image… C’est une véritable polyphonie que crée Daniel Firman ici pour la première fois.

Avec «La matière grise», Daniel Firman évoque le sens multiple de cette expression: de la matière neuronale à la terre comme matière première ou encore les matériaux composites industriels, la lecture se fait immédiatement réversible et simultanée. Sans ignorer l’utilisation du gris dans l’art contemporain, ce référent neutre et substantiel pose la question: peut-on appréhender de deux manières la même chose?

Daniel Firman est un artiste avant tout visuel, il construit de la «présence». Pour lui, la forme en empreintes (du corps, du temps, de l’objet ou encore du mot) est essentielle, elle doit être «efficace» mais aussi faire face à un principe d’image. Si d’apparence son travail fait écho aux questions traditionnelles d’un sculpteur classique (poids, forme, matière, corps, gravité, modalité de création), c’est d’un point de vue totalement actuel, en prenant l’espace de travail comme un espace lié au vivant, à la performance et à l’effort, pour être dans le geste et ne pas faire de la sculpture un programme de sculpteur. «Je demande jusqu’à épuisement d’efforts à mes modèles de ne pas bouger et c’est avec cette approche du temps que je fais de la sculpture».

Sur deux étages du Mac Lyon, le visiteur chemine dans un parcours qui oscille entre objets et corps visibles ou invisibles, présence et absence, au fil d’une forme d’«histoire en sculptures» qui progressivement introduit des espaces perceptuels. La question de la réversibilité est omniprésente dans cette exposition, dès la première salle consacrée aux «sculptures/objets» qui fonctionne comme une série de télescopages sur le sens même du renversement: par son histoire pour Chute libre, avec la sculpture Le Feu (une mise en boucle du temps en résonance avec sa matérialité) jusqu’à Rotomatic qui entraîne le mouvement rotatif d’une mécanique moderne retournée comme un gant.

Avec l’ensemble d’œuvres intitulées Je tourne autour de la terre, Daniel Firman prend physiquement place dans ce chamboulement en créant une machine inversée de tour de potier où l’artiste se voit propulsé à 33 tours/minute comme un astronaute en rotation autour d’une masse de terre incontrôlable. De cette pièce s’annoncent les protocoles et les méthodes de production à l’aveugle de Daniel Firman, où l’objet final prend forme de résidu de l’action.

Daniel Firman compose son exposition à la manière d’un parcours très séquencé, comme une partition avec un rythme, des accélérations, des silences. À partir de 1998, l’artiste réalise des performances en atelier dans lesquelles il s’enferme petit à petit dans une masse d’argile qui délimite son espace vital. Cette série intitulée Kinésphère fait référence à Rudolf Von Laban et aux mouvements du corps. De ces coffrages en terre est édité un plâtre qui prend forme de coque ossifiant le mouvement. Le corps s’estompe pour laisser place à un volume où nulle représentation du corps n’est présente, ni même la durée du processus. La série est réactivée pour l’exposition et s’intitule Solo.

Pour complexifier cela, il demande aux chorégraphes Annie Vigier et Franck Apertet (les gens d’Uterpan) une création qui vient s’infiltrer dans l’exposition comme une interrogation et une possibilité de révéler une articulation du vivant dans le travail de l’artiste. «La question du vivant est essentielle pour moi dans cette exposition afin d’élargir la perception de mon travail. Après avoir défini mon synopsis, j’ai demandé aux gens d’Uterpan de réagir à un endroit précis dans mon projet. J’ai rencontré Annie Vigier et Franck Apertet durant la biennale de Lyon 2007 avec X-Event 2, depuis nous sommes restés en contact, en échange. Ils sont au plus proche de ce que je ressens de la performance et de la danse aujourd’hui.»

La proposition qui s’en suivit s’intitule Géographie Lyon. Une performance qui couvrira toute la durée de l’exposition, avec des alternances de présences et d’absences des interprètes. Cette chorégraphie délimite un champ opératoire de danse qui une fois clos devient sculpture. Circulant autour, les visiteurs entendent les danseurs, perçoivent leurs mouvements, mais ne les voient pas. Un principe de proximité évident avec les Kinésphères. «Avec les gens d’Uterpan il était évident que la présence du vivant ne pouvait pas se trouver à proximité de corps/sculpture. La perception de ce qu’ils dégagent est très différente. Leur appréhension était nécessairement dissociable.»

En contre point de Géographie Lyon, la sculpture Duo est constituée par les moulages de corps de danseurs qui posent successivement sans connaître la posture des danseurs précédents, sur le principe du contact improvisation (danse expérimentée par Steve Paxton aux états Unis en 1972). Les sept danseurs auront chacun réalisé un duo, en se greffant sur la trace résiduelle laissée par le précédent.

Duo
se forme comme un cadavre exquis qui présente simplement la sédimentation d’un geste fixé par une séquence étirée dans le temps et pourtant réunie simultanément et de façon permanente. Dans cette continuité/contact Nasutamanus, l’éléphant, est tenu dans un état de flottement perturbant notre appréhension de l’espace physique. Le titre évoque sa qualité de préhension, avec sa main/ naseau qui lui permet cette mise à distance du monde dans son rapport le plus intelligible.

Au 3e étage, l’espace est structuré autour d’une installation sonore construite comme un environnement, avec plusieurs formes dialoguant avec les références de Daniel Firman. Un icosahedron (polyhèdre régulier dont la surface est constituée de 20 triangles équilatéraux) noir flottant dans l’espace peint en noir est une forme utilisée par Laban, tout comme Kinésphère. Décliné en plan, il donne forme à Cube, une œuvre en néons.

Cartel
, coréalisée avec David Evrard, artiste Belge, mixe une sélection d’images faisant office d’iconographie au travail de Daniel Firman. Enfin, une platine-disque muette tourne autour de son galet. Tout cela dans un son brutal répétitif et sans interruption de l’installation sonore Drone Project. «Les pièces sonores que j’ai réalisées ont rarement été exposées. Dans ce parcours d’œuvres, il était important pour moi que cette relation que j’entretiens depuis des années avec les musiques de type acoustique et sériel, soit représentée avec l’installation intitulée Drone Project».

En référence à la «Drone music» et aux musiques dites répétitives, l’installation se déploie sur trois murs, où trois guitares électriques tournent au bout de leur manche à 78 tours/minute, dans le sens des aiguilles d’une montre, sur un disque générant un son «noisy». Le terme «Drone music» est utilisé dès 1958 pour décrire des musiques ethniques ou spirituelles contenant des bourdons et dont le rythme ne varie pas ou très lentement. Sa version contemporaine, le Drone, est souvent utilisée par des artistes reliés au post-rock ou à la musique expérimentale (La Monte Young, Charlemagne Palestine, Eliane Radigue…). «Cette pièce est la suite d’une œuvre intitulée Digital Sound réalisée en 2001 où une platine disque était confondue avec une platine de potier sur le terme commun du galet. Ces éléments se retrouvent aujourd’hui disloqués dans l’exposition. Pour moi la boucle est bouclée, comme un tout tubulaire, avec peut-être cette question: Peut-on appréhender d’une seule manière des choses différentes?…et vice et versa.»

Daniel Firman est né en 1966 à Bron en France. Il vit et travaille à Bruxelles en Belgique et il est représenté par la Galerie Perrotin.

Un catalogue bilingue (francais/anglais) sera coédité par le Mac Lyon et la Galerie Perrotin. Préfacé par Thierry Raspail, directeur du macLYON, il rassemblera une interview avec Hou Hanru, commissaire d’exposition et critique d’art, et un texte d’Emmanuel Latreille, directeur du FRAC Languedoc Roussillon.

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