ART | CRITIQUE

La Chambre interdite

PIsabelle Soubaigné
@12 Jan 2008

La Chambre interdite de Rebecca Bournigault, qui met en scène de l’histoire de Barbe Bleue, nous plonge dans une expérience multiple. A la fois visuelle, sonore et palpable dans la densité qu’elle donne à l’espace, elle nous met face à différents sentiments.

La première salle dans laquelle nous sommes invités à entrer présente quatre portraits vidéo projetés à même les murs, en miroir les uns par rapport aux autres. Nous sommes encerclés par ces visages démesurés.
Le récit conté en quatre langues différentes est diffusé simultanément sans interruption. Superposition, brouhaha qui souligne l’atrocité du dénouement à venir, l’histoire prend corps dans le vide de la pièce. Mis en position d’infériorité à cause de la taille des images, nous sommes envahis par un sentiment de vulnérabilité qui rend proche des victimes de l’auteur des méfaits de cette histoire.
L’horreur prend forme. Les têtes des narrateurs cadrées jusqu’aux épaules sont tout à coup décapitées avec violence. Le sang factice semble s’écouler à la surface et efface les interprètes les uns après les autres. Le son n’est pas pour autant interrompu. L’histoire continue et le noir est bientôt total. Notre regard est guidé vers la salle suivante attiré par la lumière qui en émane.

Antichambre de la mort, elle expose des aquarelles dans une série de cadres sur le mur qui nous fait face. Un projecteur met en relief de manière crue et angoissante les morceaux de corps peints. L’espace de chaque support n’est qu’en partie habité par l’image. Le vide tout autour prend tout son sens. Il entre en écho avec la pièce. Plus que toutes les oeuvres accrochées, c’est le sentiment de cruauté et l’effroi qui s’exposent. Palpable, incarné, tactile, le malaise se fait sentir et nous pousse à sortir. Nous sommes mis en situation.

L’épouse de Barbe Bleue à qui l’entrée de la pièce secrète était interdite a été graciée. Sans le vouloir nous avons transgressé la règle. En pénétrant dans cet environnement nous vivons à notre tour l’aventure de ce personnage. La fiction se mêle à la réalité. Nos peurs et nos angoisses se réveillent. Complices de la mise en scène, prêts à jouer le jeu, nous n’en sommes pas moins inquiets. Le bruit du texte qui se mêle à côté perce le silence dans lequel nous sommes immergés. Envie de fuir, de fermer la porte et d’effacer les traces de notre intrusion. Et pourtant une certaine angoisse nous contraint à rester sur place, à attendre pour voir ce qui va se passer.

Nous revenons sur nos pas. Le cauchemar est derrière nous. Il nous faut maintenant sortir sans nous retourner de peur d’être suivis, épiés. Nous franchissons la porte, avec soulagement comme nous aurions refermé le livre relatant cette histoire. Réminiscence de souvenirs d’enfants : les peurs enfouies en devenant adultes ressurgissent. L’environnement de Rebecca Bournigault nous a fait voyager dans le temps, et l’esprit qui garde en mémoire les «traumatismes» vécus a libéré la part de notre imaginaire jusqu’alors endormie.

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