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La Calle del Infierno

06 Mar - 18 Avr 2015
Vernissage le 06 Mar 2015

Depuis plus de 20 ans, Pilar Albarracin passe au crible les figures pittoresques de l’Espagne, dans des œuvres non dénuées d’un humour caustique. Travaillant avec une large variété de supports d’expression — performances, vidéos, installations et photographies —, elle interroge les motifs de l’identité culturelle comme ceux du genre féminin.

Pilar Albarracin
La Calle del Infierno

L’artiste espagnole Pilar Albarracin poursuit son insatiable exploration des méandres de la Séville d’hier et d’aujourd’hui, sa ville natale où elle vit et travaille. Depuis plus de deux décennies, l’artiste passe au crible les figures pittoresques de l’Espagne, dans des œuvres non dénuées d’un humour caustique.

Tirant profit d’une large variété de supports d’expression — performances, vidéos, installations et photographies —, elle interroge les motifs de l’identité culturelle tout autant que les principes du genre féminin.

Pilar Albarracin poursuit aujourd’hui sa charge féroce mais douce dans un nouvel ensemble d’œuvres inspirées des liesses populaires. Lors de la Feria de Abril à Séville, un vaste complexe éphémère est élevé pour divertir petits et grands. Il est baptisé, en raison du bruit assourdissant des attractions, calle del Infierno, «rue de l’Enfer».

Pilar Albarracin s’approprie et redonne vie à deux machines: l’une représente un animal récurrent dans ses œuvres, le taureau, l’autre une vision stéréotypée de l’homme macho, Mr Muscle. Les deux jeux de force aux couleurs éclatantes invitent le visiteur de la galerie à un insolite combat: que triomphe le plus fort, dans un éclat de sons électroniques et stridents. Les rouages mécaniques se font soudain plus pernicieux. Le jeu, qui mesure la puissance physique, détermine en filigrane des archétypes de force et de faiblesse. La fête foraine apparaît autant comme un lieu de divertissement que comme un cadre propice à la divulgation des travers humains.

Pilar Albarracin, en moraliste aussi pénétrante que Francisco de Goya, tend à ses contemporains le miroir de leur propre humanité. Univers de machines, la fête foraine convoque également la mise en scène des corps. Le ressort du divertissement repose alors sur l’écart avec la norme: jadis, dans les kermesses, le public se délectait du spectacle des corps jugés monstrueux.

Dans une série de dessins ayant pour point de départ l’expérience du miroir déformant, Pilar Albarracin interroge les potentialités d’un rire autocentré, qui ne masque qu’en partie la réaction face à l’étrange et au différent.

L’artiste aime à en découdre avec les stéréotypes et cela rend d’autant plus intéressantes ses séries brodées, depuis longtemps compagnes de son parcours artistique. Pilar Albarracin prolonge son questionnement des apparences dans l’univers connoté féminin et ornemental des travaux textiles. C’est là qu’elle distille son feu. L’une de ses dernières séries, en l’occurrence, a pour sujet les flammes de visions pyrotechniques. Ces broderies reprennent les explosions colorées des feux d’artifice et autres illuminations des festivités populaires, à Séville ou ailleurs. Le ciel qui s’embrase incite la foule à lever les yeux vers le firmament, alors que ses pieds foulent le sol de la rue de l’Enfer.

De telles œuvres livrent une vision kaléidoscopique du divertissement et tissent un lien étroit entre domaine profane et sacré. Au Théâtre National de Chaillot, les images de la liesse religieuse, toujours placées sous le signe du folklore andalou, constituent le pendant de l’allégresse profane des œuvres présentées, d’où la mise en place exceptionnelle d’un vernissage commun entre l’institution et la galerie.

Pilar Albarracin investit les espaces du théâtre à l’occasion de la deuxième Biennale d’art flamenco. Une part essentielle de son travail consacré à la danse y est présentée à travers une sélection de vidéos. La dimension chorégraphique du rituel religieux, tel qu’il est déployé dans les rues de Séville pendant la Semaine Sainte, forme la trame de nouvelles créations.

L’installation El Capricho (2011) reconstitue notamment l’un des autels portés traditionnellement en procession. Pilar Albarracin a opéré une subtile inversion: le support de la foi est renversé et suspendu au plafond. Le geste pourrait paraître sacrilège. Pourtant émanent de l’œuvre solennité et mystère. Les objets que l’artiste crée, s’approprie ou métamorphose, sont autant de jalons de son questionnement de la communauté et de ses fondements, et interrogent la part de la tradition dans une société contemporaine en permanente mutation.

Sarah Ligner

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