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L Homme à tête de chou

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@29 Oct 2010

Entre les mots de Serge Gainsbourg et la voix d’Alain Baschung, Jean-Claude Gallotta insère les corps dans cette lecture chorégraphique de L’Homme à tête de choux, arrachant Eros et Thanatos du texte pour les exposer sans pudeur ni demi-mesure.

Ainsi les danseurs, en Levi’s et perfectos, envahissent-ils la scène dès les premières notes, venant former autour du fauteuil à roulettes du conteur invisible, moitié présent moitié absent, une ronde psychédélique. Des courses effrénées, qu’accompagnent d’amples mais francs mouvements de bras, évoquent par moment une nage crawlée — leitmotivs gestuels répétés jusqu’au vertige. Très vite, l’ambiance s’électrise, en une danse macabre postmoderne.

Les corps se déchaînent sur le reggae de Marie-Lou, en des lâchers de danse africaine mêlés à des pas plus rock, avant que l’ivresse des fins de soirée n’engourdisse les esprits. Dans les dernières vapeurs éthyliques, tout s’embrouille, les codes se renversent, l’érotisme précède, ou plutôt annihile toute séduction. Les blue jeans s’entrouvrent et s’envolent, découvrant lingerie noire ou nudité brute, montrée, exposée et imposée sans plus de préambule.

Quant au couple central, le duo sadomasochiste que forme la femme-Lou et l’ homme-chou, il se «décentre» justement, de manière tout-à-fait intéressante, se démultipliant dans le kaléidoscope chorégraphique que forment les 14 danseurs, déployant comme à l’infini les entrelacs tortueux de l’inconscient du héros. Jean-Claude Gallotta nous amène ainsi avec pertinence à ressentir le télescopage onirique de ces capiteux souvenirs, le mécanisme du flash-back qu’est ce «film noir».

Face au fauteuil vide, l’espace scénique s’impose comme plein, voire saturé: saturé de mouvements, ondulations lascives soulignant les courbes des hanches ; saturé de corps qui s’empoignent, se repoussent, se giflent, se touchent, se pétrissent, s’exhibent, au rythme des talons qui martèlent le sol, et claquent dans l’air comme des fouets.

Au point que le spectateur, s’il reçoit d’abord, avec une certaine euphorie, cette profusion d’énergie, tend à se fatiguer avant la fin — avant les danseurs —, à se sentir envahi… ou plutôt paradoxalement oublié! Calquant son ballet sur la lettre du texte, voulant aller jusqu’au bout de la crudité brutale des mots, et même peut-être la dépasser, le chorégraphe ne laisse guère de place à l’imagination!

Au réalisme sans concession des paroles, une chorégraphie plus en nuances ou en suggestion aurait pu offrir un heureux contre-point. Or il s’avère que le second degré, dont ne manquait pourtant pas le poète Gainsbourg, n’a résolument pas sa place dans cette version « cash » de L’Homme à tête de chou. Cette attitude de «bourreau» qu’adopte Jean-Claude Gallotta face au public «victime» n’est pas sans se justifier dans la mise en scène de cette chimère d’héautontimorouménos, littéralement « celui qui se punit soi même » en grec. Il n’empêche qu’un fantasme ne se partage que difficilement à coups d’ «extincteur», et l’on aurait aimé trouver une brèche dans cet enchevêtrement de matière corporelle opaque, poursuivant de nous même les immatérielles mais non moins sensuelles «volutes de sèches au menthol» de Marie-Lou, devenue rêve, fantôme, fumée…

— Chorégraphie: Jean-Claude Gallotta
— Paroles et musiques originales: Serge Gainsbourg
— Dans une version enregistrée pour ce spectacle: Alain Bashung
— Avec: Adrien Boissonnet, Sylvain Decloitre, Nicolas Diguet, Hajiba Fahmy, Ximena Figueroa, Marie Fonte, Ibrahim Guétissi, Benjamin Houal, Yannick Hugron, Cécile Renard, Eléa Robin, Thierry Verger, Loriane Wagner, Béatrice Warrand
— Orchestrations, musiques additionnelles et coréali: Denis Clavaizolle
— Mixage et coréalisation: Jean Lamoot

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