ART | INTERVIEW

Katharina Ziemke

PMarie-Jeanne Caprasse
@15 Nov 2011

Depuis quelques années, Katharina Ziemke impose un travail singulier en peinture. Un univers étrange où l’usage de couleurs intenses et artificielles transforme ses sujets et leur donne l’intensité d’objets modelés, figés dans leur enveloppe extérieure. Sa manière pose la question du hiatus qu’il peut y avoir entre le sujet traité et le langage formel utilisé pour le représenter.

D’origine allemande, Katharina Ziemke a étudié aux Beaux-Arts de Paris. Aujourd’hui, elle réside à Berlin. Nous l’avons rencontrée à l’occasion de son exposition personnelle à la galerie Zürcher qui a lieu à Paris (5 nov.-29 déc. 2011).
L’artiste aime les contrepieds, s’amusant à rendre les choses dures très attirantes et à chercher la cruauté dans les choses belles.

Marie-Jeanne Caprasse. Vous êtes allemande et vous avez fait le choix de venir étudier aux Beaux-Arts à Paris. Qu’est-ce qui a motivé ce choix?
Katharina Ziemke. J’ai toujours beaucoup aimé la France et, après le baccalauréat, je suis venue à Paris en tant que fille au pair. J’aime beaucoup cette ville et j’ai eu envie d’y rester. Je dessinais et je peignais déjà, à l’époque, je connaissais surtout l’art ancien et je voulais me diriger vers la restauration d’art. J’ai présenté un dossier d’entrée aux Beaux-Arts de Paris et j’ai été reçue.
C’est là que j’ai découvert l’art contemporain. La première année, j’ai arrêté de peindre, je m’intéressais à l’art conceptuel et à la vidéo. C’est seulement en deuxième ou troisième année que j’ai recommencé à peindre.

A l’époque, quels étaient les artistes qui vous intéressaient?
Katharina Ziemke. A l’époque, j’aimais beaucoup Yves Klein, Marcel Broodthaers, l’art des années 1960-1970. J’allais très souvent au Louvre aussi. A la fin de mes études, vers 2003-2004, j’ai découvert les nouveaux peintres comme Peter Doig, Daniel Richter ou Neo Rauch. Ils m’ont beaucoup inspirée. La peinture aux Beaux-Arts de Paris n’était pas mise en avant, c’était plutôt le domaine de l’installation ou de la vidéo qui l’était.

Comment se fait-il que vous soyez revenue à la peinture?
Katharina Ziemke. En voyant la peinture de Peter Doig, d’Elisabeth Peyton, de Marlene Dumas et d’autres, j’ai eu envie de refaire de la peinture. J’y trouve un plus grand plaisir que dans une démarche conceptuelle. J’aime aussi la vidéo, je m’y suis remise récemment.

En 2010, vous avez réalisé deux vidéos (Nerf d’acier et La seule étoile) qui sont visibles sur votre site Internet. Pouvez-vous nous parler de ce qui a motivé cette nouvelle démarche, quel est son propos et ce qui la différencie ou la rapproche de votre travail en peinture?
Katharina Ziemke. Je pense que c’est toujours bien de changer de médium de temps en temps. Cela permet d’exprimer d’autres choses. En peinture, je travaille sur une seule image, stable, contemplative. C’est très riche et le silence de la peinture est très attirant. Mais en vidéo, ce qui m’intéresse, c’est de développer l’image dans la durée et la dimension sonore par les bruitages et la musique. Quelque part, ce point de vue sonore me manque en peinture.

Dans la vidéo, on est davantage tenté de raconter quelque chose?
Katharina Ziemke. Moi, j’ai du mal à raconter quelque chose. Je crois que c’est pour cela que la peinture est mon médium préféré. Sur une image, on ne peut pas raconter une histoire, on travaille une atmosphère, une densité. Il faut créer tout un univers dans une seule image.
Quand je travaille la vidéo, c’est comme si je pouvais développer dans le temps tout ce que je peux mettre dans une peinture mais sans vraiment raconter une histoire. Ce que je recherche, c’est créer des atmosphères et provoquer des émotions chez les gens.

Vous avez dit un jour désirer amplifier le silence qui est propre à la peinture. Pouvez-vous nous parler de cela?
Katharina Ziemke. Quand j’ai parlé de silence de la peinture, cela faisait référence à l’effet de pétrification ou d’émail qui figeait les scènes que je peignais. Parlons par exemple d’une peinture comme Le Cri de Munch, ce qui fascine, c’est qu’on n’entend pas le cri. Et la violence est là: dans le fait qu’il n’y a pas de cri. On le voit mais on n’entend rien, ça me touche.

C’est comme si le cri, finalement, était rentré et se diffusait dans la peinture.
Katharina Ziemke. Oui. C’est cette densité que je recherche.

Vous avez un style aujourd’hui reconnaissable, caractérisé par un travail des couleurs saturées et artificielles, et une représentation figée du monde. Comment est née cette approche de la réalité, quelle a été dans les premiers temps votre recherche en peinture et selon vous, qu’est-ce qui vous a fait évoluer dans cette direction?
Katharina Ziemke. Je me rappelle d’une première toile où j’ai peint à partir d’une maquette d’immeuble en carton grise faite par un architecte. J’avais essayé de lui redonner vie en la traitant comme un vrai bâtiment, très grand et avec des couleurs. C’est là où j’ai commencé à travailler le côté artificiel et à faire cet effet d’émail, comme si c’était fait en terre.
En fait, je ne m’intéresse pas beaucoup à la représentation de la nature. Ce que je recherche, c’est créer un nouveau monde. Je m’inspire toujours de photographies, souvent en noir et blanc, et à partir de là je recrée un réel qui n’existe pas. En partant de la réalité, je décris un nouveau monde complètement artificiel.

Dès le début, c’est venu comme ça?
Katharina Ziemke. Oui… J’ai un côté sculpteur dans la peinture, je fais du volume. Comme si les arbres n’étaient pas en bois, les gens n’étaient pas en chair, mais seraient des créations en terre, en plastique, en céramique. Cet aspect-là, je l’ai un peu abandonné dernièrement, il me figeait. Maintenant, j’ai tendance à travailler différemment.

Le fait de travailler à partir de photographies prises dans les médias participe-t-il d’un regard qui aurait tendance à considérer le monde comme un objet. Vous partez d’une réalité éloignée pour travailler ensuite à la rendre concrète, lourde de réalité, mais en gardant toujours une distance avec le réel. Quelle est la relation que vous établissez entre vous, votre peinture et les images de départ?
Katharina Ziemke. C’est un processus de transformation. Je trouve des photographies sur Internet, plutôt en noir et blanc parce qu’elles ont déjà un écart avec la vraie vie. Et je recrée les choses en peinture. En inventant les couleurs, cela commence déjà à transformer l’image.

Vous ne vous projetez pas dans la réalité que vous représentez?
Katharina Ziemke. C’est ce que je ressens quand je regarde l’image que j’ai envie de rendre visible mais cette qualité expressionniste de mon travail rivalise avec une certaine froideur, presque objective, dans ma manière de peindre.

Vous travaillez aussi bien le portrait, la scène narrative mettant en jeu plusieurs figures, et le paysage. Les abordez-vous de la même manière?
Katharina Ziemke. Oui, presque. J’ai des thèmes récurrents, il y a toujours des paysages, des fleurs et des personnages. Il me faut recréer un univers complet, une proposition de monde. Je traite très peu d’architectures, je crois que je ne ferai jamais une scène de rue parce que c’est trop réel. Je ne traite pas les images qui pourraient marquer trop précisément une époque. Je cherche à être en dehors du temps.

Si on regarde les peintures de 2005 à aujourd’hui, on constate une évolution. Le monde de 2005 se rapproche d’un univers de contes de fées aux couleurs du sucre d’orge alors qu’aujourd’hui, vos peintures évoquent davantage la cruauté, la dureté, avec un registre de couleurs qui a évolué. Comment décririez-vous vos préoccupations actuelles?
Katharina Ziemke. La cruauté a toujours été là. Par exemple, dans une peinture comme Poets (2005), j’étais partie d’une photographie de carnage entre mafieux, les montrant morts étendus sur le sol et perdant leur sang, et je l’avais traitée avec des couleurs rose bonbon. C’est ce qui m’intéresse: rendre les choses dures très attirantes, rendre joli ce qui nous agresse.

Parfois, vous rendez aussi cruelles les choses jolies. Par exemple, quand vous traitez d’une fleur en gros plan comme celle que l’on peut voir dans cette exposition.
Katharina Ziemke. Oui, c’est ça. Dans les choses belles, je vais chercher ce qui est effrayant et j’aime rendre belles les choses effrayantes. C’est quelque chose que j’aime bien. Par exemple, le titre de cette exposition «Chains, Chains, Chains» provient du titre d’une chanson de l’américain Elvis Perkins qui fait un peu la même chose en musique. Quand on ne comprend pas le texte, on pourrait croire que c’est une jolie chanson mais quand on lit les paroles, on se rend compte qu’il raconte des choses épouvantables, extrêmement tristes ou dures. Cela me plaît énormément et c’est peut-être la même démarche que la mienne.

Dans vos contemporains, en peinture, y a-t-il des démarches qui vous plaisent tout particulièrement?
Katharina Ziemke. Elizabeth Peyton, Dana Schutz, Dasha Shishkin, Damien Cadio, Allison Schulnik, Céline Berger, Eric Corne… J’aime tous les médiums, pas seulement la peinture, c’est ce qui est dit qui est important. Par exemple, j’aime beaucoup les vidéos de Rodney Graham: je suis fascinée par ses univers en boucle.

Quels sont pour vous les enjeux de la peinture aujourd’hui?
Katharina Ziemke. Je crois que chaque peintre doit développer une vision très personnelle. Ce qui m’ennuie souvent, c’est de voir des modes en peinture. On se nourrit tous de l’art des anciens et de ses contemporains mais il faut vraiment transformer cette nourriture et en faire quelque chose de personnel.

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