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John Miller, Mai-Thu Perret

PCaroline Pillet
@12 Jan 2008

Les travaux de John Miller et de Mai-Thu Perret sont en apparence très différents. Ils entretiennent pourtant un rapport semblable à la mémoire, aux traces, et les constructions fictives de Mai-Thu Perret ne sont peut-être finalement pas si éloignées que cela de la réalité. 

Les deux séries de photographies de John Miller, Wind from the East et Clubs for America, sont des vues de rues, de places, de carrefours et de boutiques. Dans la première série, on reconnaît certains endroits de Berlin, et l’on suppose que la grande ville de la seconde n’est autre que New York.

Berlin n’est pas photographiée dans ses traits les plus frappants, mais dans sa banalité : tags, travaux, grand magasin, ligne de métro, jardin public sale, etc. Pourtant, la seule ligne de métro photographiée est celle qui, au temps du Mur, reliait Berlin Ouest à Berlin Est. Les images sont comme imprégnées de solitude. Rues et places quasi désertes pour paysage gris.

La série sur New York est imprégnée de la même atmosphère : rues désertes, voitures garées devant des semblants de boutiques aux rideaux tirés, passants, etc. On sent bien que sous ces photos qui semblent chargées de nostalgie se cache autre chose, pas forcément perceptible au premier regard ou pour celui qui ne connaît pas très bien ces deux villes.

Un petit texte explique que John Miller a photographié à Berlin Est des lieux (statues, stèles, etc.) qui ont porté les traces du communisme, mais que les nouveaux dirigeants ont voulu effacer. A New York, son attention s’est portée sur d’anciens sexe clubs, fermés à cause de l’épidémie du sida.

John Miller travaille ainsi sur une mémoire dont les signes s’estompent, ou sur des souvenirs dont les autorités effacent les traces pour ne pas les rendre trop ostentatoires. Geste autant artistique que politique qui se place dans un contexte sociopolitique. Au moyen de photographies assez banales, John Miller interroge le politique en laissant à chacun le soin de se faire « passeur » de mémoire invisible.

Mai-Thu Perret, quant à elle, expose quatre sculptures et deux dessins dont l’un est celui du marteau et de la faucille, minuscule symbole sur cette grande feuille blanche encadrée. Les sculptures, intitulées Heroine of the People, apparaissent d’abord dans leur opacité : une masse informe recouverte d’un matériau imitant l’or (en Birmanie, les fidèles recouvrent de feuilles d’or la statue de Bouddha qui devient informe sous le nombre des feuilles), deux sculptures en plastique noir très design ressemblant à une maquette architecturale, un mannequin de femme en habit révolutionnaire assise en tailleur avec une corde de pendu autour du cou. L’impression première est celle d’une hétérogénéité.

Dans ses travaux précédents, Mai-Thu Perret a créé une fiction, celle d’une communauté de femmes, « Crystal Frontier », qui vivrait dans un lieu imaginaire, New Ponderoso, inspiré des nombreuses communautés notamment marxistes installées au Nouveau Mexique. Quel est donc le lien entre une architecture utopiste, une jeune révolutionnaire attendant la mort, un semblant de bouddha informe et dessin du marteau et de la faucille ? Peut-être que tous ces éléments sont chacun ancrés dans une histoire : la religion bouddhiste, l’histoire de l’architecture, l’utopie communiste. Histoires d’utopies ou de croyances en unordre des choses, en un certain avenir.

L’artiste les combine dans une nouvelle narration utopique. Elle reconstruit et recrée une histoire à l’aide de symboles marquants, rassemblant des éléments dispersés dans le temps pour leur redonner une nouvelle histoire, elle aussi utopique et recréée de toute pièce.

Mai-Thu Perret, différemment de John Miller, mais avec la même attention au passé, reconstruit une certaine mémoire faite de traces de l’histoire. Ces deux artistes travaillent autour de la mémoire et des grands faits historiques qui l’ont marquée. Ils élaborent tous deux une esthétique de la trace qui invite le spectateur à reconstruire lui-même une narration qui n’est pas donnée d’emblée. 

Mai-Thu Perret
— Heroine of the People (Revolutionary), 2005. Collaboration avec Ligia Dias pour les vêtements. Papier maché et grillage, peinture acrylique et gouache perruque, costume en laine. 90 cm x 85 x 85 cm.
— Heroine of the People (Golden Rock), 2005. Papier mâché et grillage, feuille d’or. h: 107 cm; diam: 75 cm.
— Heroine of the People (Black Tower), 2005. MDF, laque. h:150 cm; diam: 40 cm.
— Heroine of the People (Black Stack), 2005. MDF, laque. 90 x 133 x 116 cm.
— Heroine of the People (Fabric Designs), 2005. Diptyque, sérigraphie. 83 x 59 cm (chaque).

John Miller
— Wind from the East, 1994. 12 photographies couleurs. 20,3 x 25,4 cm (chaque).
— Clubs for America, 1992. 10 photographies couleurs. 12,7 x 17,8 cm (chaque). 

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