PHOTO | CRITIQUE

JG

PFrançois Salmeron
@05 Fév 2014

Le film JG rend compte de la fascination de Tacita Dean pour Robert Smithson, pionnier du Land Art, qui créa la Spiral Jetty en 1970, sorte d’immense tourbillon fait de terre et de pierres édifié dans le Grand Lac Salé de Utah et enseveli deux ans plus tard. JG, c’est donc la quête de Tacita Dean pour retrouver la signification de cette œuvre mythique.

Le projet JG a hanté l’esprit de Tacita Dean pendant de longues années, avant de prendre forme dans un film de 26 minutes projeté au sous-sol de la galerie, accompagné de photographies d’objets recouverts de cristaux de sel. Mais ce projet n’est pas que le fruit de l’imagination de Tacita Dean. Il doit surtout à la fascination que Robert Smithson, grand nom du Land Art, a exercé sur l’artiste, et notamment son œuvre Spiral Jetty, sorte d’immense tourbillon fait de terre et de pierres, qu’il édifia en 1970 dans le Grand Lac Salé de Utah, et qui fut ensevelie deux années plus tard à peine par les eaux du lac.

JG se pense avant tout comme une quête, un périple, une odyssée lancée par Tacita Dean, mais qui se solde par un rendez-vous manqué avec la fameuse Spiral Jetty. En effet, tout débute en 1997 lorsque Tacita Dean entend à la radio que la Spiral Jetty aurait réapparu à la surface du Grand Lac Salé. Ebranlée par la nouvelle, Tacita Dean décide de se rendre sur les lieux où l’œuvre de Smithson a été bâtie. Las, impossible d’en retrouver la moindre trace: les indications qu’elle récupéra auprès du Arts Council de Utah n’étaient pas fiables. Et Smithson, décédé dans un accident d’avion en 1973, semblait avoir emporté avec lui le secret de sa Spiral Jetty, sa localisation exacte, et sa secrète signification.

Nullement découragée par son incapacité à retrouver l’œuvre de Smithson, Tacita Dean revient du Grand Lac Salé avec quelques objets recouverts de cristaux de sel. The Book End of Time et The Tail End of Film, présentés lors de l’exposition dans des tirages photographiques grand format, sont inspirés de ces objets trouvés, et soulignent l’indéniable qualité esthétique de la structure des cristaux de sel.
De plus, Tacita Dean va trouver un allié de poids dans sa quête de la Spiral Jetty: l’écrivain J.G. Ballard, avec qui elle entame une correspondance. D’une part, celui-ci est un passionné d’art et connaît bien l’œuvre de Smithson, il a même écrit un texte pour le catalogue de l’une de ses expositions. D’autre part, Tacita Dean apprend que l’on a retrouvé dans la bibliothèque de Smithson, un exemplaire d’un livre de science-fiction de Ballard, Les Voix du Temps. Alors, y aurait-il un certain lien entre de la Spiral Jetty et Les Voix du Temps? Un rapprochement entre les deux œuvres est loin d’être absurde…

On raconte que la Spiral Jetty aurait été bâtie en référence à un tourbillon mythique qui sévirait au cœur du Grand Lac Salé, et que sa forme en spirale rappellerait également la formation circulaire des cristaux de sel qui recouvrent les rochers se trouvant aux abords du lac. On sait également qu’à la fin du livre de Ballard, son héros construit une immense mandala au fond du lit d’un lac de sel asséché, qui passe pour une horloge cosmique décomptant le temps de l’humanité.
Ainsi, si les deux œuvres se font intimement écho, on peut aller plus loin en se souvenant que certains sont persuadés que Smithson avait non seulement lu le roman de Ballard, mais qu’il s’en était directement inspiré pour sa Spiral Jetty. Aussi, Ballard est longtemps demeuré curieux de l’œuvre immergée de Smithson, et lui aura prêté une signification bien particulière que Tacita Dean s’empresse de nous rappeler.

La Spiral Jetty a trait au temps, thématique également chère aussi bien à Ballard qu’à Tacita Dean. L’œuvre engloutie par une brusque montée des eaux du lac en 1972, rappelle la transformation des forces de la nature, et sa domination sur l’homme est ses artifices. En cela, la Spiral Jetty n’avait évidemment aucune fonction pratique: elle n’avait nullement été bâtie pour voir amarrer des cargos et les aider à charger ou décharger leur marchandise. Elle fonctionnerait bien plutôt de manière symbolique. Soit comme un tourbillon mythique matérialisant donc la spirale du temps, son origine et sa fin, ou son éternel retour. Soit comme une fenêtre temporelle qui nous permettrait d’atteindre le centre d’un univers ancien se trouvant justement au fin fond du Grand Lac Salé.
Mais cette œuvre, c’est également la spirale de la vie et du cosmos, cette spirale présente au cœur des structures biologiques et chimiques de tout être. Enfin, Ballard voit dans cette spirale un labyrinthe prêt à nous engloutir comme nous dévorerait le Minotaure, et dont Robert Smithson serait le créateur, assumant par là le rôle de Dédale.

Le film JG, quant à lui, réactive la part de mystère planant autour de la Spiral Jetty, et la légendaire aura dont elle jouit. Le film a été pensé comme une boucle, conformément à la spirale temporelle que symboliserait l’œuvre de Smithson. Toutefois, les plans montés par Tacita Dean ne se situent pas uniquement au Grand Lac Salé de Utah. JG ouvre donc ses perspectives à d’autres paysages, dont la Californie. Une horloge vient ponctuer le découpage du film, affichant un horaire répété par une voix-off. Celle-ci nous offre même parfois quelques allitérations poétiques, jouant des sonorités du «sun» et du «salt».

On y perçoit des paysages à la beauté saisissante. Un grand lac aux rives de sable, sur lesquelles des strates de sel se sont solidifiées. Les paysages sont souvent vides, arides, parfois même désertiques. Des arêtes de montagnes se découpent dans le ciel en arrière-plan. Des couchers de soleil inouïs nous hypnotisent. JG se construit alors autour de ces différents plans fixes, formant un récit nébuleux et envoûtant où notre imagination vagabonde.

Des filtres rouge ou bleu sont disposés sur la lentille de la caméra. Et Tacita Dean masque partiellement l’obturateur de sa caméra avec différents caches. Des disques ou des spirales s’incrustent sur l’écran donnant au film des allures psychédéliques et expérimentales.

Les plans fixes se succèdent donc dans un grand silence, au rythme des ondulations qui dansent à la surface de l’eau. Les bruissements d’insectes ou d’un tatou se font toutefois ressentir. Et le silence sera bientôt brisé par l’intervention d’une pelle mécanique creusant une tranchée aux abords d’un lac salé, en écho à notre petit tatou qui gratte le sol, à la recherche de nourriture, alors que s’activent les machines d’une usine de salinisation. Puis la pelle est filmée à l’arrêt, comme une machine recroquevillée, tandis que le tatou demeure replié sur lui-même, blotti dans sa carapace.

Le sous-sol de la galerie se transforme ainsi en une véritable salle de projection, offrant tout l’espace visuel et sonore dont mérite un film de l’ampleur de JG. Tacita Dean nous plonge alors de plain pied dans les eaux troubles de ces grands lacs salés, lieux que l’on croirait utopiques ou fantastiques tant ils nous sont comptés avec magie et poésie.

Å’uvres
— Tacita Dean, The Tail End of Film, 2013. Photo NB. 123 x 159 cm.
— Tacita Dean, vue d’exposition, 2014.
— Tacita Dean, vue d’exposition, 2014.
— Tacita Dean, JG (offset), 2013. 14 archival offset prints. 30 x 77.5 cm.
— Tacita Dean, JG, 2013. Vidéo 35 mm. 26 ½ minutes.

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