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Jean-Michel Alberola

PMarguerite Pilven
@12 Jan 2008

L’image finale est obtenue à la suite d’enfouissements successifs de figures et d’objets sous des couches de peinture. On distingue ainsi des silhouettes humaines dont il ne reste que l’ombre ou les traits de contours. À la manière d’un indice, ces formes fantomatiques signalent un « avoir été là ».

Dans les années 1980, Jean-Michel Alberola était préoccupé, comme d’autres peintres de sa génération, par le devenir de la peinture et la pertinence de sa pratique. Cette méditation sur les fins de son art devait le conduire, dans un premier temps, à s’intéresser conjointement à la fable mythologique de Diane et Actéon et à l’épisode biblique de Suzanne et les vieillards, deux mises en scène portant sur la question du regard, de la pulsion scopique coupable.

L’actuelle exposition est traversée par cette conviction chère au peintre : la seule façon de rendre une pratique picturale pertinente aujourd’hui est de la remettre dans les choses du monde. Il n’est alors pas étonnant que la figure tutélaire de cette exposition soit Marcel Duchamp qui, le premier, critiqua de façon décisive la prétention d’autonomie de la peinture moderne.
En matérialiste, Alberola sape toute idée de peinture qui fonctionnerait en vase clos, loin des contradictions et des incohérences du monde. Il en fait au contraire un espace fondamentalement hétérogène, inscrit dans un rapport permanent à l’extérieur, au risque d’affaiblir le pouvoir de séduction de ses œuvres.

Les compositions déroutent en effet souvent le regard car les tableaux semblent toujours être laissés dans la tension de l’inachèvement, dans la suspension du doute. Des pans de l’image apparaissent fragmentés, morcelés, comme autant de pièces d’un puzzle complexe qu’il nous faudrait recomposer. L’image finale est obtenue à la suite d’enfouissements successifs de figures et d’objets sous des couches de peinture. On distingue ainsi des silhouettes humaines dont il ne reste que l’ombre ou les traits de contours. À la manière d’un indice, ces formes fantomatiques signalent un « avoir été là ».

Albérola nous placerait-il, comme l’écrivait Catherine Millet en 1987 devant « la mise en scène de la disparition de la peinture dans la peinture elle-même » ? Dans l’œuvre intitulée Sans Equilibre, où le plan d’une sorte de labyrinthe est peint en noir et blanc, est inscrite en capitales cette injonction : « De longs couloirs… accompagnez-moi ».

Si Albérola s’enfonce dans la nuit de la peinture, pourquoi ne pas voir là, plutôt que l’acte d’un fossoyeur, une sorte d’archéologie inversée, c’est-à-dire la condition même de sa renaissance ?
Un tableau intitulé : Marcel Duchamp, el Salvador donne en tout cas envie d’y croire.

Autre pièce à conviction : ce petit ex-voto renfermant, comme dans un tabernacle, un portrait peint de Duchamp, l’œil rieur et auréolé de rayons à la manière d’un saint, ainsi que l’étui d’un appareil photo.
Si Duchamp n’était pas explicitement photographe, on connaît la portée décisive que la logique photographique a eu sur tout son travail en affranchissant la peinture de son fonctionnement mimétique.

Plusieurs détails font allusion à cette imprégnation physique de l’œuvre. Sur le tableau intitulé Celui qui se construit… Pétard chinois, on distingue clairement l’ombre projetée d’une tête de chien dont le peintre a réalisé l’œil en déposant l’empreinte de son pouce recouvert de peinture. On perçoit également des visages dont les yeux sont cette fois ci matérialisés par des punaises enfoncées dans la toile. Autant de signes vers la présence physique du peintre derrière tout cela…

Par cet hommage amusé qui présente Marcel Duchamp comme le « sauveur » de la peinture, Alberola poursuit une perspective essentielle de son travail : engager sa peinture dans un rapport dialectique au réel, inscrire sa pratique dans le devenir de l’histoire. Alors l’image cesse d’être immédiatement lisible en s’ouvrant à l’opacité du monde.

Jean-Michel Alberola
— Nous sommes tous des peintres abstraits, 2004. Lithographie. 65 x 48 cm.
— Marcel et Salvador, 2003. Gouache sur papier. 130 x 130 cm.
— Chez Daniel, 1999. Néon en cristal. 25 x 28 x 5 cm.
— Celui qui se constellation, 2003-2004. Huile sur toile. 89 x 116 cm.
— Celui qui Lénine, 2002. Huile sur toile (2 éléments). 55 x 71 cm.
— Celui qui se construit III (constellation), 2002-2003. Huile sur toile. 116 x 81 cm.
— Celui qui parle I, 2002-2003. Huile sur toile. 100 x 100 cm.
— Sans équilibre n°9, 2004. Encre sérigraphique sur toile. 146 x 114 cm.
— (Protégée) S. Dali, 2003-2004. Techniques mixtes. 44,5 x 37,5 x 16 cm.
— Celui qui se construit II (pétard chinois), 2002-2003. Encre sérigraphique sur toile. 116 x 81 cm.
— Sans équilibre n°6, 2004. Encre sérigraphique sur toile. 162 x 130 cm.
— Celui qui se construit IV (constellation), 2002-2003. Huile sur toile. 130 x 89 cm.
— Marcel, 2003. Techniques mixtes sur papier. 150 x 121 cm.
— Protégée II (M. Duchamp), 2003-2004. Techniques mixtes. 44,5 x 37,5 x 16 cm.
— Devenir Grain de sable, 2004. Mur peint. Dimensions variables.
— Enrique Malatesta. Le passage de Malatesta à Londres, 1996-2002. Huile sur toile. 162 x 150 cm.
— Le passage de Malatesta à Londres, 2003. Huile sur toile. 35 x 27 cm.
— Le passage de Malatesta à Londres I, 2003. Huile sur toile. 110 x 80 cm.
— Paupière supérieure / Paupière inférieure, 2004. Encre et gouache sur papier marouflé sur toile. 150 x 135 cm.

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