PHOTO | CRITIQUE

Immigrant Blood

PMarie-Jeanne Caprasse
@17 Jan 2014

«Le sang des immigrants» est une imposante installation réalisée par un artiste russe engagé. Au gré des pays dans lesquels il expose, son regard critique sur les formes du pouvoir et d’oppression se matérialise dans la manipulation de symboles bien connus de notre civilisation occidentale. Ici, la figure de la Marianne est au centre du dispositif.

Les installations d’Andrei Molodkin procèdent le plus souvent d’une logique de flux, de projection d’un liquide en continu dans une forme creuse à l’enveloppe transparente. L’artiste utilise des formes connues de tous, symboles de notre civilisation, comme les figures du christ, de la vierge, la Victoire de Samothrace ou la statue de la liberté. S’il a très souvent travaillé avec du pétrole, depuis quelques temps il a introduit le sang qui chemine en rouge dans des formes aux évidentes connotations politiques. Dernièrement, pour une exposition en Irlande, c’est dans la réplique de la rosace du parlement irlandais, qu’il a fait circuler le sang de personnes catholiques.

A la galerie Dorfmann, l’artiste russe — qui vit depuis plusieurs années en France — évoque un mal qui touche la société française et fait controverse au sein de la population comme de la sphère politique: l’immigration. Dès l’entrée, il expose son crédo par une phrase écrite en dessous du collage d’une pièce de monnaie frappée de la Marianne: les capitaux circulent mieux dans le monde que les gens.

Et l’histoire que Molodkin nous raconte à travers son installation-sculpture suscite de nombreuses associations. On est d’abord confrontés à la reconstitution d’un cabinet de prélèvement sanguin. Très médical, froid et technique. C’est là que, notamment lors du vernissage de l’exposition, le sang de demandeurs d’asile en France a été prélevé pour être ensuite injecté dans l’œuvre.

Le principe est de faire voyager ce sang conservé à l’état liquide dans un circuit continu fait de tuyaux et régulé par des compresseurs industriels. Il part d’un frigo qui ronronne et diffuse une lumière blanche, circule dans les tuyaux sous l’impulsion d’une pompe qui à chaque déclenchement fait résonner une détonation, et est projeté à l’intérieur d’un bloc en acrylique transparent creusé à la forme de la Marianne.

Travaillant de manière récurrente sur des espaces en négatif qu’il remplit de liquide, Molodkin crée des sculptures fluides. Cette dynamique dramatise le propos et transforme cette réplique fantomatique de la Marianne en lieu où se déroule un drame ensanglanté.

Le son joue également une part importante: il y a le ronronnement continuel du frigo qui évoque le bruit du monde puis la pompe qui se déclenche périodiquement et provoque une explosion semblable à un coup de fusil.

Visuellement, l’installation dégage une grande zone d’inconfort: l’artiste cultive le côté clinique avec tout l’attirail mécanique et électronique en vue, relié par un ensemble de câbles. A cela s’ajoute un dispositif de capture vidéo en direct qui projette deux images en gros plan de la tête de la Marianne sur les murs adjacents. L’une en petit format à l’entrée de la salle et l’autre dans une taille imposante occupant le mur du fond.

L’image filmée est esthétiquement belle et le sang qui est projeté sur ses parois semble exécuter une chorégraphie en rythme. Le sang est en mouvance permanente, comme dans un corps vivant. En retombant, il forme aussi de multiples petites bulles qui éclatent puis redeviennent liquides. L’image projetée dans des couleurs teintées de jaune et de rouge est chaleureuse et d’une certaine manière réconfortante. Elle contraste avec le reste du dispositif qui vise à nous faire ressentir le poids de la technologie comme la perte d’identité de l’individu confondu dans la masse.

Molodkin parvient dans son art à faire appel à nos sens, nos émotions, tout en abordant des questions politiques ou plus généralement humanistes. Dans cette installation, il nous parle de la place de l’individu dans une société qui fait davantage place à la marchandise qu’à l’humain. L’homme est symbolisé par son sang, lui n’a qu’une couleur et pas de patrie. Il va, il vient, mais il est aussi stoppé dans son élan par une forme, un cadre qui peut-être oppresseur autant que libérateur.

 

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