PHOTO | CRITIQUE

Imagine there’s no countries

PArlène Berceliot Courtin
@21 Oct 2009

L'exposition «Imagine There Is No Countries» propose au Crédac une série de photographies du Belge Geert Goiris récompensé en 2009 par le Baloise Art Prize, secteur Arts Statement d’Art Basel. Le titre fait référence à Imagine de John Lennon qui conserve son utopie et son espérance depuis 1971.

Geert Goiris présente certains clichés de ses pérégrinations. Il choisit ses destinations pour leurs caractéristiques géographiques, leurs possibilités d’isolements et d’éloignements, la qualité et la singularité de leurs lumières. Toutes ses images sont présentées sans altérations, ni retouches, le paysage, le sujet ou l’habitacle sont présentés tels quels. L’artiste utilise la photographie traditionnelle dite analogique pour proposer une retranscription fidèle du visible: «un instantané qui enregistre de façon visible la trace d’activités révolues».

Le seul effet particulier pourrait être l’intervention et l’utilisation presque systématique d’un temps de pose très long. Le moindre mouvement s’inscrit sur la pellicule, créant ainsi dans son ensemble une image insolite, habituellement invisible à l’œil nu. Cette particularité de construction confère aux photographies de Geert Goiris, un caractère étrange et fantastique. Son travail est ainsi fortement empreint d’inquiétante étrangeté.

L’«Unheimlich», ou inquiétante étrangeté, est un terme utilisé par Sigmund Freud pour désigner le sentiment éprouvé devant une scène ou un objet familiers qui deviendraient d’un seul coup, et sans changement majeur, complètement étrangers.
Cette particularité différencie les photographies de Geert Goiris des clichés qui saturent quotidiennement nos regards, et leur confère un imaginaire romantique. «Le fait d’enregistrer l’invisible est déjà en soi une entreprise romantique, note Geert Goiris: il s’agit d’appliquer une méthode scientifique (mesurer la lumière et l’exposer sur une pellicule) afin de réaliser des objectifs poétiques».
A la notion d’inquiétante étrangeté, Geert Goiris préfère celle de «réalisme traumatique» désignant un état mental associé à un point de rupture et de fusion du tangible et de la fiction dans une sorte de micro-mystère, où le familier revêt une présence étrangère.

Le Crédac présente une sélection de ces clichés insolites de Geert Goiris, empreints de ce réalisme traumatique, figurant en particulier des bassins abandonnés dans une nature verdoyante, une salle de réunion concentrique vide, un kangourou albinos esseulé, un rocher élevé au-dessus de sédiments, une série intitulée Slowfast où alternent étendues sauvages et bolides concourant sur fond de désert de sel… Des images décalées produisant une séduction visuelle immédiate.

Geert Goiris propose aussi une sélection de clichés réalisés lors de la traversée du Dronning Maud Laud pour une expédition scientifique en Antartic. De ce voyage, il a ramené un court récit ainsi qu’une série de diapositives intitulée Whiteout.
La projection de trente de ces diapositives restitue l’aveuglement et la perte de repères provoqués par le phénomène atmosphérique de la disparition de la ligne d’horizon. «La brume voile rarement tout, le plus souvent il reste encore un fond visible. Mais ici, il n’y avait plus d’horizon, ni de relief, nous avions la sensation de glisser à travers un nuage». La projection restitue cette disparition de la ligne d’horizon, le regard est pris, happé par le blanc, l’espace sans reliefs ni structures déstabilise.

A travers trois tirages contrecollés sous plexiglas, Triptyque Crown Bay restitue aussi ce sentiment. Le cadre forme des ombres qui empêchent une lecture fidèle du paysage, l’artiste a choisi de présenter l’étendue blanche à travers un caisson aux bords arrondis, ressemblant étrangement à une fenêtre de voiture.

3 Suns, présente à travers un format poster une étendue de glace aux teintes bleutées. À première vue, on croirait voir un océan, mais il s’agit véritablement d’un océan de glace. L’artiste surplombait alors un kilomètre de glace. Ces détails expriment la difficulté de réalisation des clichés et la spécificité d’une prise de vue dans des conditions aussi spectaculaires.

Outre la séduction immédiate entraînée par ses clichés, Geert Goiris provoque une sensibilisation vers l’observation de la composition de ses photographies et des images de façon générale, l’effet Whiteout ne durant qu’un temps.

Geert Goiris
— New Lands, 2008. Impression jet d’encre. 242 x 317 cm
— Blue Key, 2003. Photo couleur encadrée, tirage lambda. 40 x 50 cm
— Triptyque Crown Bay, 2009. 3 Photos contrecollées sous caisson plexiglas. 50 x 60 cm
— Palanga, 2000. Photo noir et blanc encadrée, tirage lambda. 40 x 50 cm
— 3 suns, 2009. Impression jet d’encre. 318 x 393,8 cm
— Whiteout, 2008-2009. Projection de 30 diapositives
— Curona, 2000. Impression jet d’encre. 371 x 306 cm
— Slowfast, 2007.15 Photos couleur encadrées, tirage lambda. 50 x 60 cm
— Ecologist Place, 2006. Impression jet d’encre. 301 x 378 cm
— Suspension, 2006. Photo couleur encadrée. 101,5 x 130,5 cm
— Albino, 2003. Photo couleur encadrée. 100 x 120 cm
­­— Lion, 2003. Photo couleur encadrée. 125 x 165 cm
— Rock, 2000. Photo couleur encadrée. 100 x 125 cm
— Trajectory, 1999. Photo noir et blanc encadrée. 50 x 60 cm
— Pools of Dawn, 1999. Photo couleur encadrée. 100 x 130 cm
— Cactus, 2009. Photo noir et blanc encadrée. 100 x 125 cm

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