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Images bruissantes, mirages sonores. 1976-2010

10 Mar - 07 Mai 2010
Vernissage le 10 Mar 2010

L’artiste écologiste Erik Samakh est un original dont les travaux rendent un hommage constant à la nature, dans un rapport toujours doux et respectueux.

Érik Samakh
Images bruissantes, mirages sonores. 1976-2010

«La nature, nous en faisons partie et nous n’avons pas vraiment le choix. [Mais] la ‘’nature’’ inventée par les hommes pour s’en dissocier n’est pas celle que j’explore», dit Érik Samakh, reconnu à ce jour comme l’artiste le plus «écosophique» qui soit. Comment en effet présenter autrement ce fou de la nature, sauvage civilisé — ou l’inverse — qui réalise en son sein l’essentiel de ses œuvres, et où il puise sans répit, depuis plus de vingt ans, son inspiration ? Érik Samakh ou l’artiste écologiste dès ses commencements, bien avant la vogue de la Vie verte, un authentique original dont l’ouvrage s’assimile à un constant hommage rendu à l’environnement, approché de façon toujours respectueuse.

Érik Samakh, au sein du milieu naturel, adopte plusieurs comportements. Celui du collecteur: de sons, d’images, d’ambiances… Celui de l’aménageur, comme en témoigne son bassin d’accueil pour batraciens, conçu comme une salle d’opéra à ciel ouvert… Celui, aussi, d’un arrangeur. Dans le Marais Poitevin, l’artiste diffuse des sons qu’il a préalablement enregistrés en Guyane ; en maints endroits, encore, ses flûtes au mécanisme alimenté par l’énergie solaire sifflent la respiration paisible ou la complainte du vent local… Cette notion d’arrangement — musical, de nouveau — caractérise en premier lieu l’exposition que la galerie, ce printemps 2010, consacre à l’artiste.

Dans l’espace de cette dernière, des sons d’origine plus ou moins indéfinissable sont diffusés, émanant à l’évidence de sources géographiques diverses. Bruits de la ville ? Peut-être. Bruits captés dans l’espace naturel, en ses parties les plus profondes ou les plus reculées telles que forêts, marécages et autres zones d’altitude mal accessibles à l’homme ? Il se pourrait bien aussi, connaissant les multiples terrains d’action d’Érik Samakh, inlassable voyageur et globe-trotter avéré.

Baigner les spectateurs de passage à la galerie dans une ambiance ? Pas seulement. D’un même tenant, cette exposition entend confronter ces derniers avec l’artiste en personne — un artiste en l’occurrence maintes et maintes fois portraituré. Une succession de portraits et d’autoportraits photographiques d’Érik Samakh ponctue ici la visite, manière de faire plus ample connaissance avec l’artiste, qui ne se dissimule en rien derrière ses réalisations mais, tout au contraire, choisit de s’afficher. Non en gloire mais plus sobrement, plus efficacement aussi, en action.

C’est ainsi un homme affairé que l’on voit sur ces images, selon le modèle tutélaire, dans l’histoire de l’art, de l’artiste représenté face à l’ouvrage. À ceci près, dans ce cas: le chevalet du peintre a laissé place au territoire d’une nature qu’on pressent vierge ou presque de toute présence humaine. Célébrer l’artiste, donc, en même temps que ses lieux d’action favoris, dans la mesure où ceux-ci sont inséparables de son œuvre, et constitutifs de celle-ci. Ce faisant, dresser, appareillé à la figure de l’artiste proprement dite, le portrait d’un archétype.

Archétype ? Oui, si l’on relève que chaque portrait exposé ne désigne rien d’autre que l’«homme nature». Non pas le Bon sauvage rousseauiste objet de tant de spéculations mais un type d’humain plus proche, celui-ci, de l’humanisation concrète que du champ philosophique. Regardons. Ici, nous voyons le jeune Érik Samakh serrer entre ses mains, comme un trésor, trois magnifiques lézards. Là, nous le voyons nu, seul au milieu d’un territoire sombre de basalte, tel le chasseur du paléolithique à l’affût, encore qu’il s’agisse pour lui d’enregistrer des sons, ou de capter des images. Une autre photographie montre l’artiste tapi dans une forêt, et une autre encore, s’adonnant à quelque collecte plus ou moins mystérieuse dans une nature aux allures de climax, de lieu édénique de commencement du monde. Encore, au beau milieu d’une mare, tenant une longue perche, une attitude combinant celles du pécheur et du perchman…

Parfois, on le devine à peine, dissimulé qu’il est par de hautes herbes, par un feuillage. Mais l’on — l’on — qu’il est là, au sein de cet univers qui lui est propre, lieu élu de son intimité, cette nature dont nous avons, nous spectateurs, perdu pour l’essentiel la substance, avec laquelle nous ne partageons plus grand chose, sauf de trop rares contacts occasionnels. La «touche» photographique de — qu’il opère seul ou avec un preneur de — n’est pas sans conforter cette impression de fusion corps-nature. L’image n’isole jamais le corps dans l’espace naturel mais elle lui donne une place déterminante, celle de l’acteur, ni en retrait ni installé en avant. Placé au cœur.

Érik Samakh ne pénètre pas la nature, il ne l’investit pas comme nous autres le faisons le plus clair du temps, en passagers. Plutôt, il est habité par elle autant que fusionné à sa matière, jusqu’à ce point, l’énigme. Comment, à dire vrai, être aujourd’hui cet hominien-là, à la fois ancré dans le biotope le moins artificiel qui soit et tout à fait à l’aise avec ce qu’offre le monde actuel, et comment l’être surtout sans jouer sur un mode régressif, nostalgique ? Comment être parvenu à marier ces deux antagonismes, la vie élémentaire d’un côté, et de l’autre une pratique artistique technicisée recourant pour s’accomplir à la technologie la plus up to date, de l’enregistreur sonore de pointe en passant par le matériel photovoltaïque, les appareils de géolocalisation et autres sondes électroniques ?

Tel que le montrent ses portraits, Érik Samakh paraît bien loin de nos villes, de notre réalité «globale» saturée de bâtiments, d’objets manufacturés, de réseaux, quoique tout indique qu’il y appartient aussi, à sa manière. Il nous fait les témoins, demeurés extérieurs à sa propre scène, d’un ressourcement qui nous manque mais que rien au fond ne nous interdit de risquer et d’entreprendre, pour peu que nous passions le pas. Il incarne pour nous, comme un éclaireur, l’univers de la nature et de l’homme moderne réconciliés, qui ne font pas deux mais avancent solidairement, de manière osmotique. Paul Ardenne

critique

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