ART | CRITIQUE

Home

PKatrin Gattinger
@29 Juin 2003

Quinze artistes prennent pour matériau et pour prétexte artistiques les éléments de la maison, de l’intérieur. Pour en inverser les fonctionnalités, pour en transformer les usages, pour stimuler l’imaginaire.

Sous le titre générique Home, la Galerie Vallois réunit des œuvres de quinze artistes d’horizons et de pays divers. Si effectivement le terme anglais « home » désigne davantage le foyer ou le bercail que la maison, l’exposition ne cherche pas à reconstituer un foyer où le visiteur serait accueilli comme un hôte et y découvrait un intérieur intime. Ce sont plutôt des parcelles et des objets de plusieurs maisons qui ont été importés dans l’espace rue de Seine, comme si chaque artiste déposait là une partie ou une vision de son chez soi.

En s’intéressant moins à l’idée de stabilité et de repère de la maison de famille en la traitant sous l’angle d’une architecture solide et inébranlable, l’exposition met l’accent sur les aspects mobiliers et donc les objets détachables du logis. Ce dépôt peut alors fonctionner comme une porte ouverte sur la maison de l’artiste comme c’est le cas avec From my home de Nedko Solakov, un détail photographique agrandi de son tapis oriental étrangement peuplé.

Les meubles et autres objets ménagers de Home ne sont guère ordinaires. Ils renversent les fonctionnalités, exaltent leur mémoire et s’animent.
La proposition de Richard Jackson sème le trouble en ce qui concerne le statut des objets. La place d’un tableau dans un décor intérieur est souvent celle située au-dessus du canapé. Or le canapé détermine ici le tableau à l’huile qui lui est associé : en renversant le divan sur le côté de manière à ce qu’il frôle la peinture fraîche, il est utilisé telle une spatule de peintre et réalise le geste artistique. Une véritable interaction prend ainsi place entre le siège et la peinture, qu’on ne pourrait plus dissocier, à cause de l’empreinte qui y est inscrite.

Si Richard Jackson invente un nouvel emploi pour le sofa, d’autres artistes annulent la fonctionnalité des objets. C’est le cas des poignées américaines fixées sur les murs de la galerie et n’ouvrant donc aucune porte de Virginie Youssef, ou encore des WC et lavabos de l’atelier van Lieshout n’ayant pas de tuyauterie, aucune évacuation pour être mis en service. Dans le même lieu, mais sur le mur d’en face, est fixé un ensemble de tuyaux, de robinets, de conduits … les uns liés aux autres comme une canalisation en circuit fermé. La rigidité métallique est remplacée par la souplesse du caoutchouc. Tous les détails d’un conduit d’eau sont parfaitement reproduits par la technique du moulage, mais pourtant, cette œuvre murale de Loris Cecchini évoque l’organique de par sa mollesse.

Ces éléments d’habitation perdent leur utilité et donc leur sens inhérent, une fois qu’ils sont déplacés et débranchés de leur contexte. En éliminant la fonction, la forme apparaît plus clairement. On peut alors constater, comme le fait Vilém Flusser, que le design investit la brèche et qu’il jette un pont entre la technique et l’art parce qu’il manifeste leur rapport intime.

Utiliser les objets de la maison pour une autre fonction que pour laquelle ils ont été prévus, est une pratique très courante chez les enfants. Jean Fourtou en fait une belle démonstration avec la cabane qu’il a construite dans la galerie. En « édifiant » une petite construction avec des tables, des matelas repliés, un grand carton renversé, un escabeau et des draps, rideaux et autres tissus tendus, il réalise le seul véritable intérieur de l’exposition.
Pour ce faire, il utilise même un réduis, habituellement fermé, de la galerie, qui lui sert de pièce supplémentaire, car cette habitation miniature, dans laquelle on ne pourrait entrer qu’à quatre pattes, comporte plusieurs chambres remplies de coussins et de peluches.

Se détournant des connotations fonctionnelles des objets, certains artistes ont introduit dans l’exposition une dimension plus ludique. Ils plongent le visiteur dans un monde merveilleux et fantastique où les objets sont habités par des esprits et d’autres identités : Gilles Barbier présente une commode qui roule des yeux grâce à un moteur certes invisible, mais qui couine et grince comme un Poltergeist, et Nedko Solakov présente un de ses miroirs interpellant discrètement le visiteur. Les motifs du tapis perse, dont un détail est reproduit à l’échelle par la photographie et qui se présente comme une carte géographique, hébergent des paysages secrets où de petits personnages dessinés à l’encre évoluent et s’aiment.
Nedko Solakov ouvre alors au visiteur le monde de l’enfance où chaque élément, chaque détail aussi insignifiant qu’il soit, peut être le prétexte et l’amorce d’une histoire fantastique et imaginée.
Keith Tyson possède cette capacité à être attentif aux toutes petites particularités et de les faire agir comme point de départ pour la création de ces volumes et installations. Pour Tabeltop Tales : Anticipating a tumbling coin from the cherubic mint (Histoires de planches de table : Anticiper une pièce de monnaie dégringolante de l’atelier monétaire des anges) il convertit en sculpture la mémoire d’une table, c’est-à-dire les taches et inscriptions que les personnes y ont laissées. On peut découvrir, entre autres éléments, un lion qui, à l’origine est frappé sur une pièce de monnaie collée sur le bois de la table, s’allonge tel un sphinx sous ce même meuble, et cela à échelle réelle !

L’anti-pôle de ces conceptions et visions riches d’imaginaire est certainement la série de séquences photographiques d’Alain Bublex représentant des façades de maisons de lotissement inhabitées. Ces habitations, dont la construction vient à peine d’être achevée, sont comme des feuilles blanches qui attendent d’être remplies d’histoires et de vies, de souvenirs et de mémoire. La notion de foyer n’y est présente que parce que ses bâtisses sont la manifestation du désir de construire et d’accéder à un chez-soi.

Arman
— Colère de télévision, 1976. Téléviseur brisé dans plexiglas. 62,50 x 80 x 50 cm.

Gilles Barbier
— Sans titre, 2003. Commode, plexiglas, moteur. 62 x 82 x 38 cm.
— Sans titre (méga-maquette),1998. Technique mixte sur papier. 333 x 144 cm.

Julien Berthier
— Étais de rangement, 2001. Étais, fauteuil, livres. Dimensions variables.

Alain Bublex
— Une demi-heure entre Dan Graham et Thomas Demand. Épreuves chromogènes, séquence de 12. 77 x 80 cm chacune.

Loris Cecchini
— Sans titre, 2001. Caoutchouc. 160 x 227 cm.

Jean-François Fourtou
— Cabane. Installation : éléments divers. Dimensions variables.
— Petit chien, 2001. Technique mixte. 35 x 10 x 25 cm.
— Singe, 2003. Technique mixte. 112 x 60 x 93 cm.
— Girafe, 2000. Technique mixte. 92 x 10 x 73 cm.
— Brebis, 2000- 2001. Technique mixte. 45 x 25 x 70 cm.
— L’œuf, 2003. Technique mixte. 150 x 70 x 40 cm.

Richard Jackson
— Sans titre, 2003. Huile et crayon sur papier calque. 122 x 107 cm.
— Sans titre (corbeille à papier), 2003. Crayon sur calque. 28 x 35,50 cm.

Alain Jacquet
— Parquet, 1968. Sérigraphie sur carton. 253 x 26 x 8 cm.

Ilya Kabakov
— Toilet On the Mountain, 2002. Céramique sous glaçure sur une base en bois. Sculpture : 46 x 33 x 58 cm; base en bois : 160 x 50 x 75 cm.

Martin Kersels
— Constellation, 2003. Technique mixte. Dimensions variables.

Nedko Solakov
— From My Home #1, 2002. Encre permanente sur photographie couleur. 122 x 155 cm.

Keith Tyson
— Tabletop Tales : Anticipating a Tumbling Coin From the Cherubic Mint, 2002. Technique mixte. 210 x 219 x 208 cm (base : 250 x 250 x 5cm).

Atelier Van Lieshout
— Toilet (jaune),1994. Fibreglass. 80 x 50 x 10 cm.
— Lavabo (orange), 1994. Fibreglass. 50 x 50 x 10 cm.
— Lavabo (noir), 1994. Fibreglass. 50 x 50 x 10 cm.

Virginie Yassef
— Sans titre, 2001. Poignée américaine.

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