ART

Histoires

POrnella Lamberti
@25 Mai 2011

L’Histoire des hommes s’écrit et se lit dans les pierres; les pierres érigées et les pierres détruites. Michal Rovner amplifie ces voix muettes, faisant parler les monuments et les décombres pour dire une Histoire des hommes qui se répète.

Michal Rovner investit le Louvre, lieu parfait s’il en est pour penser les Histoires des hommes, leurs divergences et leurs similitudes, leurs particularités et leurs universalités.

Au sein de la cour Napoléon, deux édifices cubiques de pierre se font humbles devant la majesté des lieux séculaires. Pourtant, ces deux Makom sont faits de la même chair que le Louvre — les pierres intemporelles, garantes de la mémoire des hommes. Un des Makom est intact et ouvert sur le ciel, les pierres brutes de couleur calcaire formant quatre murs. L’autre semble avoir été brisé, et gît désormais sur ses gravats.

Ces Makom — mot signifiant «Lieu» en hébreu —, ouvrages architecturaux sommaires en apparence, semblent être la quintessence de l’édifice, la forme la plus primitive de ce que l’on appelle «maison». Des «proto-maisons» universelles, métaphores de tous les lieux où l’homme habite, de tous les territoires, comme en ont été construites des milliards — toujours de la même façon: patiemment, une pierre après l’autre — et comme en ont été anéanties des milliards.

Ces bâtisses de pierre évoquent le temps et sa répétition aliénante. Elles répondent à la Pyramide du Louvre qui, sous ses apparats sophistiqués de verre, n’en est pas moins l’une des premières formes architecturales, que les Egyptiens l’érigent de pierre ou que nous, Modernes, la parions de verre. Mais, comme elle a été autrefois pillée dans le désert, elle peut être détruite à tout moment, ainsi que le rappelle sombrement le Makom brisé. Quelque part, l’œuvre de Michal Rovner tempère l’orgueil qu’éprouvent les hommes à la vue de leurs monuments supposément éternels. Mais l’artiste israélienne n’est pas cynique, elle offre une solution: elle numérote les pierres, afin que tout puisse être reconstruit n’importe où, n’importe quand. En faisant fi des frontières…

Cependant, ses propositions vont au-delà du champ symbolique. Leur processus d’élaboration est également politique: les Makom sont le fruit de la collaboration entre maçons palestiniens et israéliens, qui les ont façonnés grâce aux pierres collectées sur des maisons en ruine à la frontière entre Israël et la Syrie. A ce sujet, des photographies et des vidéos documentant la vie sur le chantier et la conception de ces Makom sont visibles à L’Espace Culturel Louis Vuitton jusqu’au 29 mai.

Dans la salle du Louvre consacrée à la Jordanie, à la Palestine et à la Syrie, Michal Rovner projette une vidéo sur des vestiges archéologiques. Time 5 dessine ainsi un détroit de pierre autour duquel de petites silhouettes noires, en procession, marchent inlassablement, en un exode perpétuel, silencieuses. Sur un autre vestige, deux colosses blancs entourés des mêmes formes humaines qui se meuvent doucement, cherchent à se donner la main, y parviennent, s’éloignent à nouveau puis se rejoignent encore, à l’infini.

Enfin, au sous-sol, les fossés médiévaux du Louvre s’animent délicatement. Les murailles de la forteresse du XIIe siècle s’offrent comme supports de deux vidéoprojections immenses. Sur l’une, huit silhouettes blanches dialoguent. Sur l’autre, une cour ressemblant fort à celle du Louvre accueille une pyramide de pierre. Des personnages muets y flânent et se baladent en cortège.

Les pierres sont de traîtres palimpsestes des Histoires des hommes: elles en conservent les traces multiples, et ne retrouvent jamais leur virginité première. Et ces pierres meurtries nous racontent toujours les mêmes «Histoires», les exodes, les conflits, les retrouvailles, les rêves accomplis, les rêves brisés…

Å’uvres
— Michal Rovner, Makom II, Israël, 2007. Photo de la construction.
— Michal Rovner, Makom IV, Israël, 2011. Photo de la construction,
— Michal Rovner, Projection de pyramide sur mur des fossés médiévaux du Louvre, 2010. Vidéo
— Michal Rovner, Lubnan, 2009. Vidéo projection sur pierre. 68 x 123 cm.

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