DANSE | CRITIQUE

Oscyl

22 Jan - 22 Jan 2019
PFranck Waille
@24 Jan 2019

Héla Fattoumi et Éric Lamoureux se sont laissés inspirer par une sculpture monolithique sans socle du plasticien autrichien Markus Schinwald pour créer Oscyl : ils l’a découvrent lors d’une exposition à Bordeaux alors que les spectateurs interagissent avec elle sur le principe du culbuto. A émergé une pièce pour sept interprètes et sept sculptures uniques, taillées, polies et creusées dans la matière par le plasticien Stephane Pauvret.

Je voudrais commencer par le cœur d’Oscyl : à mi-parcours, sur une scène sobre (un vaste tapis gris, un fond de scène tendu de lumière jaune), sept sculptures immobiles grisâtres réunies à cour, comme en attente. Ou plutôt comme prise par surprise, comme dans le jeu de l’épervier, ou comme ces enfants qui jouaient dans leur lit au moment où un adulte entre par effraction dans leur chambre. Il y a une pause subite. Avant était la danse, après renait la danse, doucement, nettement, furieusement – ­Paul Dukas et son Apprenti sorcier nous avait déjà donné une idée de la vie débordante qui peut animer les objets – « objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » demandait Alphonse de Lamartine. Moussorgsky lui avait répondu : « Oui, mes Tableaux d’une exposition ne sont que la trace visible d’une vie dont l’essence est figée dans une toile, et qui ne demande qu’à se déployer pour qui sait voir ». Héla Fattoumi et Éric Lamoureux nous donnent à voir cette vie exubérante contenue dans l’immobilité – « le silence est le père de la Parole » écrivait François Delsarte ; l’immobilité est la source du mouvement nous enseignent la vie, la méditation, la danse. Cette danse-ci tout du moins.

Car c’est un choix – directement issu des trouvailles éclairantes de Delsarte, retrouvailles avec l’Essentiel – que de fonder une danse sur le poids. « Le poids engendre le mouvement ! Le poids, par cela même, communique la vie » s’enthousiasmait Delsarte. Chacune des sculptures est agie par le principe du culbuto : une simple poussée, et le va-et-vient s’installe jusqu’à épuisement du stock d’énergie. Ainsi nait la vie sous nos yeux, par ces oscillations entre l’horizontalité et la verticalité, direction vitale, phallique par excellence. Dans l’image finale, une invitée de dernière minute ressemble à ses partenaires par les formes, mais elle est dépourvue du poids de la renverse : elle ne peut dès lors qu’être coulée au sol, figée dans l’horizontalité basse, morte. Les sept autres ne cessent de vivre et de vibrer, et la vie étant relation, chacune a un partenaire de chair et de cœur, sept danseuses et danseurs aux gestes précis qui jouent de tout et semblent se jouer du poids en défiant les lois de la pesanteur, tête en bas juchés sur leurs doubles sculptés. Mais il ne faut pas s’y tromper, c’est bien le poids qui est aussi leur partenaire, le lien avec les figures grises et le rebond d’une danse de contrastes. Le lent mouvement continu des culbutures donne une impression d’apesanteur et crée un réseau dynamique fait de douceur et de force. Danseurs et danseuses n’ont plus qu’à mettre leur expertise du geste dansé pour traduire et moduler ces énergies : entrer dans l’ambiance feutrée, la déranger, y opposer des angles et des coupures. Et la vie étant, par essence, non limitée et ouverte à l’infini des diversités et des complexités, le propos d’une danse contemporaine faite d’une rencontre d’individualités très marquées colle à l’excès au mouvement d’Oscyl.

« Avez-vous donc une âme Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? » poursuivait Lamartine à ses inanimés objets. Delsarte ajoutait lui à sa méditation enthousiaste sur le poids : c’est « dans le cœur qu’il faut chercher la source de tout mouvement ». Si l’on en croit l’accueil enthousiaste d’Oscyl par le public de Bourg-en-Bresse (peu connu pour ses débordements), il y a bien quelqu’espace du cœur qui a été rejoint chez beaucoup par la danse des sculptures pondérées et de leurs partenaires de chair et de cœur.

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