ART | CRITIQUE

Haruspex

PFrançois Salmeron
@21 Juin 2013

Tel Haruspex, devin qui prédisait l’avenir dans les entrailles des animaux, Nick Van Woert décrypte notre société de consommation à travers les matériaux dont elle use à outrance. L’artiste propose en effet de découvrir d’étonnantes strates agglomérant divers types de matières, comme autant d’échantillons révélant l’essence même de notre monde.

«Haruspex» propose un remarquable travail sur la matière, et plus particulièrement sur les matériaux issus de la société de consommation et de ses magasins de bricolage. Nick Van Woert nous plonge effectivement dans un univers foisonnant de matériaux, aux couleurs, aux apparences, et aux textures bien différentes. Il agglomère puis découpe ces matériaux en d’étonnantes poutres, que l’on retrouve ici présentées sur des rails métalliques, comme dans les rayons d’une grande surface.

Non seulement l’exposition se structure comme les rayonnages de la société de consommation, mais elle en reprend les matériaux mêmes, issus pour la plupart de l’industrie. On retrouve notamment du pvc, du papier, du bois contreplaqué, des coupures de journaux, de la mousse, de la fibre, ou encore de l’aluminium. Cette large hétérogénéité d’éléments se trouve pourtant condensée en des objets simples, des poutres d’1,78 mètre que Nick Van Woert superpose les unes sur les autres.
Par là, le geste de l’artiste vise à compresser les innombrables productions du mode capitaliste, ainsi qu’à décrypter notre société à travers eux: «Montre-moi ce que tu produis et je te dirai qui tu es». Ces condensés de matières seraient ainsi les révélateurs de nos sociétés, à la fois avides de production et de consommation.

Ces poutres apparaissent donc comme des coupes anatomiques ou des strates archéologiques révélant ce qu’enfante notre monde, de quoi il se trouve fait, sur quoi il repose. En réalité, ces matériaux ont d’abord été condensés avec de la résine dans d’immenses blocs, que Nick Van Woert aura ensuite découpés mécaniquement.
Les poutres renvoient alors à la consommation et à la marchandisation par leur contenu, mais font également signe vers l’industrie et l’architecture par leur mode de production et leur propre forme. On retrouve parfois en leur cœur des vides, des cavités, de grosses veines de résine, alors qu’elles mêlent pour la plupart des couleurs pour le moins bigarrées ou «flashy», comme pour exprimer le mauvais goût de la société de consommation.

Autour de ces rayonnages, nous retrouvons deux énormes blocs, dont l’un a été en partie éclaté. On perçoit effectivement une multitude de débris autour de lui, alors que des piolets, des marteaux ou des hachettes aux têtes dorées se trouvent accrochés aux murs de la galerie.
Ici, Nick Van Woert dit s’être encore inspiré des magasins de bricolage, qui proposent à leur clientèle de tester sur de gros blocs les outils qui les intéressent, blocs qui seront finalement vite démolis à force de coups de marteaux ou de trous de perceuses. D’étranges formes y naissent, comme si la société de consommation pouvait paradoxalement faire naitre dans ses magasins un art statuaire collectif, rassemblant divers outils et diverses mains travaillant la matière à tour de rôle.
Aussi, le bloc éclaté abrite en son sein une petite sculpture, comme si le geste, qui au premier abord pouvait paraître destructeur ou sauvage, consistait à révéler en plein jour une forme restée enfouie. A nouveau, nous retrouvons donc ici une démarche archéologique, qui creuse la matière, découvre différentes strates, jusqu’à faire jaillir un élément nouveau.

Nick Van Woert poursuit ses recherches sur la statuaire avec d’autres œuvres tour à tour sarcastiques, étonnantes ou poétiques. Un lézard se trouve coupé en deux, dont il ne reste que la partie inférieure, tandis que sa partie supérieure a été fondue et moulée en quelques outils. Cette drôle de sculpture révèle par là les goûts kitsch de notre société, et les manies populaires consistant à disséminer des sculptures d’animaux, des Vénus ou des nains de jardin, dans les abords des maisons ou des propriétés familiales.

Nous retrouvons également de grands moulages imitant les façades en plastique des maisons américaines, imitant elles-mêmes les façades que l’on construisait en bois antan. Non seulement, nous découvrons ici l’appauvrissement architectural dont souffre l’habitat populaire américain, mais nous nous trouvons tout à fait stupéfaits lorsque nous apprenons que ces moulages ont été en réalité produits à partir de litière de chat – alors que l’on pensait naïvement qu’il s’agissait de sable ou de gravier industriel.

Enfin, Nick Van Woert présente une superbe sculpture anthropomorphe dont la surface, et les extrémités plus particulièrement, se trouvent oxydées. Réalisée à partir de moyens industriels et chimiques, cette sculpture ressemble pourtant à s’y méprendre à du corail, avec ses tons de rouille orangée, ou à un branchage, lorsque l’on s’attarde sur sa composition d’ensemble. Elle dessine ainsi une silhouette humaine, dont le corps et les membres se développent suivant une élégante arborescence.

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