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Guy Limone

Guy Limone explique sa passion du jaune. Son exposition à l’Espace Paul Ricard lui permet de déclarer son amour à cette couleur mal aimée. Pour lui, «derrière ce rejet, c’est tout notre discours sur la tolérance, l’acceptation de l’autre qui est remis en question (...). Rejeter une couleur, c’est rejeter l’autre et son altérité». Quand la couleur devient politique.

Par Pierre-Evariste Douaire

Pierre-Evariste Douaire : Vous exposez à l’espace Ricard.
Guy Limone : Puisque Ricard et moi sommes associés au jaune, j’ai tout de suite pensé à cette couleur. Dès le début j’ai eu envie de mettre l’accent dessus. Le seul frein est venu du conseiller juridique. L’exposition ne pouvait pas s’intituler «Jaune», car avec la loi Evin, cela pouvait être considéré comme une publicité déguisée pour l’anisette. Néanmoins le concept a été poussé à fond. J’ai été jusqu’à mettre en avant mon patronyme qui veut dire jaune en Italien. C’est drôle que la couleur soit porteuse de sens.

Pourquoi le jaune ?
Le jaune n’est pas une couleur aimée. C’est une couleur primaire, donc fondamentale, mais elle est la moins appréciée, elle a un statut très particulier.

Le jaune est plus ou moins accepté suivant les cultures.
C’est quelque chose que j’ai essayé de montrer. En occident cette couleur est associée aux services techniques, aux footballeurs, aux balayeurs, aux vêtements de pluie. Ceux qui la portent chez nous viennent d’ailleurs. Je ne travaille pas le jaune parce que je m’appelle Limone. Enfant, on m’appelait citron ou limonade mais c’est aux Beaux-Arts que je me suis aperçu que j’aimais cette couleur. C’est à ce moment là que les premières remarques me déconseillaient de l’utiliser. C’était trop criard. Derrière ce rejet, c’est tout notre discours sur la tolérance, l’acceptation de l’autre qui est remis en question. On pourra me reprocher d’aller trop loin, mais rejeter une couleur c’est rejeter l’autre et son altérité. C’est du racisme. A la place d’une dénonciation frontale et stérile, je préfère égrainer cette vérité dans un travail purement pictural.

Une couleur peut-elle faire basculer les consciences ?
Le pouvoir de la couleur est très fort. Des gens m’interpellent en me disant que j’associe trop mon nom au jaune, ce qui veut dire que la couleur fait peur ! Une limite est franchie, des règles sont dictées sans concertation.

Vous pouvez nous parlez de vos 225m2 à Paris ?
Il existe beaucoup de murs pignon à Paris, et c’est aux propriétaires de les entretenir. La mairie de Paris propose, pour certains d’entre eux, de prendre en charge les coûts d’entretien. En contre partie elle en propose la décoration à des artistes contemporains. Chaque projet est soumis à une appelle à candidature, la démarche est analogue au 1% des constructions publiques. Une partie du budget est allouée à la création d’une œuvre d’art. Michel Blasy et Tosani concouraient, j’ai remporté le concours, mais je pense que le maire de secteur, qui a un droit de veto, a bloqué mon projet. Utiliser le jaune de cette façon, en plein Paris, est extrêmement violent, cela aurait été vécu comme une agression.

Pourquoi à votre avis ?
C’est paradoxal. On retrouve pourtant cette couleur dans les magazines d’immobilier. Le jaune est accepté dans les journaux mais son transfert d’échelle devient inacceptable. Cette frilosité ambiante est perceptible. Récemment des architectes me disaient que le Centre Beaubourg ne pourrait pas être construit aujourd’hui.

D’autres raisons expliquent le retrait de votre projet de mur ?
L’affaire Gaymard, un ministre qui se loge en grand au frais de l’État, est venu compliquer la chose. J’ai joué là dessus. Peut-être que cela a contribué à couler le projet. Mais il fallait aborder la question du logement, de la difficulté de se loger aujourd’hui. En utilisant la peinture, je pouvais dénoncer, souligner les dysfonctionnements et les privilèges d’un système, sans pour autant le dénoncer ouvertement. Grâce à ce médium, je peux prendre position, parler de la société sans tomber dans le verbiage. Je peux m’exprimer sans utiliser de messages, ni de mots.

J’avais l’impression que vous auriez pu utilisez une autre couleur.
Pour «Je compte sur vous» j’utilisais déjà la couleur jaune pour peindre les visiteurs du Frac. Cette couleur représentait l’institution, il était évident que je l’associe aux spectateurs. Je suis peintre de formation. Quand je me ballade pour prendre des photos, je suis d’abord attiré par cette couleur. Je sors l’appareil uniquement quand il y a du jaune. Je voulais faire prendre conscience aux gens que je travaillais avec la couleur et que je n’étais pas simplement l’artiste des statistiques.

Je ne suis pas «omnibulé» par les statistiques, c’est le monde qui est pris en otage par elles, c’est ça que je montre. La couleur est une préoccupation fondamentale, mais on en parle jamais. Je voulais marquer le coup et mettre le paquet dessus. Que la réflexion et la couleur soient liées. Notre société est intéressée par le sens alors qu’elle est manipulée par la forme, c’est ça que je montre. Les idées ne circulent pas comme ça. On ne peut réfléchir qu’avec une forme, une couleur. La couleur est fondamentale dans mon travail. Dans chacune de mes pièces elle est associée au chiffre.

Vous êtes préoccupé par les lignes également .
Je joue sur des formes simples. Des ronds, des carrés. Je suis influencé par l’art des années 60-70, le minimalisme, les formes simples. Je pars de ça pour mettre du banal, de la vie, tout ce qui a été évacué par le minimalisme. ça me permet de travailler le chiffre autrement, le cadre des formes permet de travailler autrement, de les limiter dans une forme. J’utilise beaucoup d’images et de figurines, cela permet de travailler dans un schéma géométrique qui permet lui-même de travailler sur la densité. La carte de la France est un hexagone, c’est une forme géométrique.

En visitant l’expo je trouvais superflu les variations de lumière.
En jouant sur l’intensité de la lumière je tente de créer un autre rapport avec l’œuvre. Certains collectionneurs trouvent que l’intensité des tubes est trop forte. J’ai tamisé la pièce pour permettre à chacun de pouvoir regarder les tubes
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J’ai interviewé Villeglé, je vous trouve des points communs. Lui rapte, classe les affiches. Vous collectez des images jaunes, des photos jaunes.
Je travaille tout le temps à cette collecte, que ce soit des photos ou des prospectus. J’achète toutes les compotes possibles, les yaourts sont une mine d’images précieuse. Je viens d’une époque où l’image était rare. Nous étions aux anges quand nous avions une image dans une tablette de chocolat, c’était un événement. Maintenant, dès que vous achetez quelque chose, vous avez une image.
J’inventorie le monde à travers des choses petites et fines comme des pellicules, des figurines. Je ne rapporte jamais d’objets parce que je n’entretiens pas de rapport avec eux, je n’ai pas de voitures, je ne suis pas costaud, alors je me rabat sur des choses plus simples à rapporter. A New York, je m’installe et je feuillette les magazines et j’arrache les images qui me plaisent. Pour des murs comme ceux qui accueillent le visiteur à l’espace Ricard, il y a des fonds collectés il y a plus de dix ans. Je les répertorie par couleur en vu d’expositions à venir.

Je pense également à une pièce de Closky, de «1 à 1000 francs», qui classe mille objets pris sur les catalogues.
Closky est un petit peu plus jeune que moi. Quand il a commencé son travail autour de la collection, il est venu à mon premier vernissage chez Perrotin en 1993, et il s’est présenté en disant «Je fais la même chose que toi». Ensuite nous nous sommes croisés dans différentes expos collectives autour du thème de l’inventaire. Mais à l’époque les artistes ne ressentaient pas le besoin de se regrouper, l’idée de mouvement n’intéressait personne.

Le cœur de mon travail parle de ça: comment rester un individu sans devenir une foule? Comment rester un individu en conservant son autonomie? Closky est beaucoup plus obsédé par le chiffre que moi, je viens de la peinture, lui est plus dans le jeu politique. Je mêle l’humour à mon travail, mais je reste attaché à une certaine forme d’art. Mais c’est vrai que nous avons des points communs, nous sommes tous les deux des enfants de Boltanski. Travailler beaucoup avec la couleur permet de se démarquer du noir de Boltanski. Je n’ai pas la même histoire que lui, je n’ai pas traversé les mêmes drames, mais mon travail est conscient du chemin parcouru et de l’endroit d’où l’on vient. C’est un des rares artistes à m’avoir fait pleurer par exemple. Ce n’est pourtant pas ce que je recherche.

Quel message voulez vous faire passer dans votre travail ?
J’ai besoin de l’humain. C’est très important de pouvoir dire que le monde est beau. On me dis que je vois le monde en jaune, et je répond qu’il faut le chercher pour le trouver. Le monde n’est pas jaune, il faut le rechercher. Notre monde est tellement déconstruit, négatif, qu’il faut le construire autrement. Je reviens sur mes pas pour ramasser un prospectus par terre, parce qu’il est de la bonne couleur et cela devient un événement pour moi. Marcher devient une activité extraordinaire, une source d’émerveillement et de découverte. Je détestais les supermarchés mais j’ai appris à les apprécier, j’y découvre des nouveaux emballages, et même si je les paie plus cher cela me procure une grande joie. L’idée de collection s’efface derrière celle de l’œuvre. Toutes les collectes se dispersent avec l’oeuvre. C’est une collection sans fin.

English translation : Laura Hunt

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