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Frédéric Mitterrand, un ministre hors limites

PAndré Rouillé

Les premiers pas en politique sont rudes pour le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, qui a été contraint, par inexpérience politique autant que par ses écrits et sa vie privée, de se défendre face à un mélange explosif d’accusations sur des questions de sexe, de viol, de tourisme sexuel, de pédophilie.
Le soutien spontané et ému, sans réserve et assurément généreux, qu’il a apporté au cinéaste Roman Polanski poursuivi pour le viol d’une fille de treize ans a servi de déclencheur.

Les premiers pas en politique sont rudes pour le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, qui a été contraint, par inexpérience politique autant que par ses écrits et sa vie privée, de se défendre face à un mélange explosif d’accusations sur des questions de sexe, de viol, de tourisme sexuel, de pédophilie.
Le soutien spontané et ému, sans réserve et assurément généreux, qu’il a apporté au cinéaste Roman Polanski poursuivi pour le viol d’une fille de treize ans a servi de déclencheur. Sous prétexte que le viol datait de plus de trente ans, et qu’un arrangement était intervenu avec la victime, Frédéric Mitterrand, oubliant que le viol de mineurs est imprescriptible en Californie, a donné l’impression que, pour lui, le talent d’un grand cinéaste prévalait sur le respect des lois, et autorisait tous les débordements, tous les excès, voire tous les crimes. Si le ministre de la Culture a voulu manifester qu’il était aux côtés des artistes, il a commis l’erreur de sembler négliger la victime, et de banaliser le viol.
Traçant ainsi les contours d’une caste de privilégiés intouchables, situés au-dessus des lois, il a de fait esquissé le profil de l’actuelle classe dirigeante qui n’a, en France, jamais été aussi arrogante, cynique, et indifférente aux souffrances des faibles.

C’est dans cette brèche que le Font national, jamais à cours de vilénies, s’est engouffré pour lancer une opération de déstabilisation du ministre de la Culture en extrayant — dûment décontextualisés — des passages de son livre La Mauvaise vie paru en 2005. Opération tristement populiste dans le seul but de nuire à un ministre dont le crime est, aux yeux de ce parti ennemi de toute différence, d’être ouvertement homosexuel.
Pour satisfaire leur haine homophobe sans tomber sous le coup de la loi, Marine Le Pen et ses amis sont donc allés pressurer le texte littéraire de Frédéric Mitterrand pour lui faire dire que l’auteur pratiquait le tourisme sexuel en Thaïlande où il s’adonnait à des rapports sexuels tarifés avec des mineurs.
Ainsi, le tour était joué: la proie était doublement touchée, non par son homosexualité qui est légale, mais par le tourisme sexuel et la pédophilie qui sont des délits!

Et comme si cela ne suffisait pas, voici que le Quotidien de la Réunion a récemment encore publié une lettre à en-tête de la Villa Médicis par laquelle Frédéric Mitterrand, alors le directeur de la prestigieuse institution, avait apporté en mars dernier un témoignage de moralité à deux garçons mineurs, dont son filleul, accusés d’avoir violé une fille de seize ans.

Devant l’escalade et la convergence des événements, le ministre de la Culture est venu s’expliquer au journal de 20 heures de TF1. Il semble avoir largement convaincu, et avoir été jugé courageux et digne.
En tous cas, il a martelé ce message que son livre ne fait nullement «l’apologie du tourisme sexuel ou de la pédophilie», et insisté: «Je condamne absolument le tourisme sexuel qui est une honte et la pédophilie à laquelle je n’ai jamais participé».

Les hommes avec lesquels il a eu des relations sexuelles en Thaïlande étaient à la fois adultes et consentants, a-t-il clamé la main sur le cœur. Il n’y a eu ni viol ni pédophilie. Soit.
Mais qu’est-ce que le «tourisme sexuel», sinon le fait de se rendre dans des pays pauvres où des hommes et des femmes, fussent-ils majeurs, sont, pour vivre, massivement obligés de consentir à se prostituer avec des occidentaux. Consentants, ils le sont sans doute, mais loin d’être libre, leur consentement est forcé par les nécessités.
Frédéric Mitterrand, qui affirme n’avoir «jamais fait de mal à personne», a profité sexuellement de la misère du monde, et s’est rendu complice d’un système qui condamne à la prostitution de larges parties de populations frappées par la pauvreté.

En grand (et talentueux) professionnel de la télévision, Frédéric Mitterrand a détourné à son profit un autre système, celui de TF1, dans un numéro de confession-séduction soigneusement mis en scène, dûment préparé, et magnifiquement interprété — avec les gestes et les poses ad hoc, et les trémolos lyriques et compassionnels dans cette voix qui a longtemps été associée aux destins tragiques des dynasties royales déchues.

En fait, cette «part de vérité» et cette «sincérité» dont il est venu convaincre les téléspectateurs pour conjurer les «mensonges» et les «amalgames» dont il se dit injustement la victime; ce message invitant (à juste titre) à «ne pas confondre l’homosexualité et la pédophilie»; ce droit (légitime) à la différence et à la complexité; tout cela composait un show terriblement exhibitionniste et narcissique: ma sexualité, mon «existence difficile», mes souffrances, mes différences, mes «hontes» d’hier, mon «honneur» d’aujourd’hui, mon combat victorieux pour sortir de l’«enfer» — sans oublier ma mère, ma famille, mes enfants, etc.
Sans oublier, non plus, comme dans tout bon scénario, les méchants: ces horribles socialistes (assimilés dans un superbe amalgame au Front national!) qui ont commis ce crime immonde d’oser demander publiquement à un homme public des éclaircissements sur certains points de sa vie qu’il avait lui-même rendus publics…

Tour à tour atténuée et relancée par la formule «Je ne suis pas là pour me plaindre» plusieurs fois usitée, cette longue mélopée exhibitionniste et narcissique s’est déroulée dans l’ignorance égoïste du sort des partenaires «consentants» de Thaïlande, et du sort, aussi, de tous ceux qui, en France, subissent de plein fouet les effets d’une politique gouvernementale dont Frédéric Mitterrand est un produit direct et une caution, en dépit de sa bonne conscience de ne «faire de mal à personne».

Cette bonne conscience ne suffira certainement pas à faire de Frédéric Mitterrand un bon ministre de la Culture — on l’a vu assumer la loi Hadopi avec une docilité à la mesure de sa méconnaissance manifeste des questions et des enjeux. Quant à ses choix artistiques, son passage à la Villa Medicis fait craindre le pire: une incapacité à dépasser le niveau et l’univers de son très traditionnaliste fond de commerce de people aristocrates dont il a abreuvé la télévision pendant de longues années. Après Gérard Garouste, sa programmation à la Villa Medicis se déroule: une photographe, épouse Rothschild, et l’exposition «Les années Grace Kelly» (Le Monde, 15 oct. 2009).

Saura-t-il faire oublier qu’il doit sa nomination au gouvernement moins à ses talents qu’au nom qu’il porte? A l’étiquette «Mitterrand» qu’il a de surcroît vidée de son sens par son itinéraire politique, mais qui n’en joue que mieux son rôle de soutien direct à cet immense et tragique amalgame qu’est la politique gouvernementale d’«ouverture».

De cette politique de débauchages, Frédéric Mitterrand en est le meilleur auxiliaire puisqu’il a, de fait, offert à la droite le nom-symbole d’un demi siècle de socialisme français. De cette politique par nature faite de liaisons dangereuses et scabreuses, toujours hors limites, sa «mauvaise vie» semblerait bien en avoir été, avant l’heure, une expression vécue.

André Rouillé

L’image accompagnant l’éditorial n’est aucunement l’illustration du texte. Ni l’artiste, ni le photographe de l’œuvre, ni la galerie ne sont associés à son contenu.

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