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Fragments d’un discours ministériel

PAndré Rouillé

A quelques mois des prochaines élections présidentielles, le ministre de la Culture et de la Communication vient de publier «Un plan d’action et de développement en faveur de l’art contemporain» qui mérite l’attention pour ses propositions et sa dynamique, pour sa rhétorique et son lexique, mais aussi pour cette façon magique de suspendre le temps, de tracer des perspectives par dessus les échéances électorales et d’installer la présente équipe gouvernementale dans une durée sans limite ni rupture. Bref, à faire croire à l’éternité.
En outre, et ce n’est pas la moindre habileté de ce «plan d’action», le ministre répond avec un art consommé de l’esquive à certaines critiques qui ont émaillé sa mandature, sans oublier de se dessiner au passage une image moderne et ouverte qui pourrait s’avérer utile en cas… d’élections prochaines.
Face au discrédit qui frappe désormais la parole politique, les projets annoncés doivent être nécessairement assortis d’éléments concrets, comme autant de preuves qu’ils sont inscrits dans un processus en cours, que ce ne sont pas des projets imaginaires ou des effets de tribune sans lendemain. Pour espérer être entendus, les responsables politiques ont aujourd’hui l’obligation d’accompagner leurs discours d’un appareillage d’attestation

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C’est ainsi que l’annonce de l’ouverture de «La galerie des Gobelins» indique les noms des acteurs (maître d’œuvre, maître d’ouvrage et conducteur d’opération), le montant des travaux, la date d’ouverture (avril 2007) et le programme prévisionnel des expositions jusqu’en… février 2008.

Dans certains projets de construction tels que ceux des «Nouveaux bâtiments pour des structures en région» est également communiquée la liste des partenaires avec le montant de leur contribution respective. Là aussi les échéances dépassent toujours la date fatidique des élections présidentielles du printemps 2007. Comme si elle n’existait pas, comme si le temps du «plan d’action et de développement en faveur de l’art contemporain» n’était pas un temps politique, comme si la victoire électorale était d’ores et déjà acquise — une variable négligeable.
Cette impression que le ministère s’installe dans une durée que rien ne devrait interrompre ni troubler est déjà créée par la date même de publication, en dernière phase de mandat, d’un «plan d’action» qui aurait dû, depuis le début, inspirer toutes les initiatives ministérielles.

En fait, la réalité aussi têtue qu’obstinément refoulée du calendrier politique confère audit «plan d’action» sa vraie nature : c’est un bilan, voire même, par son illusoire perspective sans fin, le testament d’un ministre qui rêve à d’autres fonctions politiques. C’est en tout cas un indicateur de quelques unes des grandes orientations de Renaud Donnedieu de Vabres.

On n’échappe évidemment pas aux très dérisoires hyperboles selon lesquelles les projets sont tous «ambitieux, innovants», «ouverts», «pluridisciplinaires», pleins d’«originalité», etc. La triennale prévue au Grand Palais pour 2009 est un «projet novateur à l’ambition nationale et internationale» ; celui du Consortium (Dijon) vise à «inventer une nouvelle forme de centre d’art pour le futur». Quant à «Grande exposition», qui sera programmée chaque année (à partir de mai-juin 2007), elle aussi au Grand Palais, c’est une rencontre entre «un lieu exceptionnel et de grands créateurs [qui] constituera un événement essentiel et unique pour la création contemporaine», etc.
Cette très archaï;que rhétorique d’autosatisfaction tente paradoxalement d’accréditer l’idée d’une action animée par des valeurs modernes et sous-tendue par une vision prospective… Quoi de plus naturel de la part d’un ministre de la Culture à la veine libérale !

A cet égard, les grandes orientations de Jack Lang qui ont bouleversé la politique culturelle française au début des années 1980, et qui ont été tant décriées par les traditionalistes en art, font aujourd’hui, vingt-cinq ans plus tard, largement partie de la doctrine officielle défendue par le ministre. La droite a digéré les conceptions de la gauche en matière d’art — tandis que le récent Projet socialiste est, sur l’art et la culture, d’une affligeante vacuité… Triste retournement des choses !

Alors que d’aucuns se battent encore becs et ongles pour enfermer l’art dans les strictes limites de la peinture et de la sculpture, le ministre adopte au contraire une vision plus panoramique de l’art qu’il ne cesse d’ouvrir à tous vents à l’«extraordinaire variété d’expressions plastiques et de disciplines artistiques, de la sculpture au design, des métiers d’art aux nouveaux médias, de la photographie au graphisme, sans oublier le paysage, la lumière, la vidéo, etc.»

En un quart de siècle, la droite (politique) est passée, en matière d’art, d’un malthusianisme strict à un libéralisme total, aussi bien pour les pratiques que pour les lieux puisqu’il est désormais très officiellement admis que l’art contemporain a sa légitime place «dans toutes sortes de lieux, des jardins aux monuments historiques, des sites touristiques au nouvel espace qu’est l’internet».
Après avoir été longtemps sanctuarisé dans des lieux et des pratiques rigoureusement délimités, l’art contemporain est aujourd’hui dilué dans l’espace commun de la cité et des activités ordinaires. L’élitisme strictement et jalousement balisé d’hier s’est mué en une fausse démocratie sans rivages. L’art contemporain est passé du régime de la restriction à celui de la banalisation et de la marchandisation : deux formes inversées de sa négation.

La voie de la marchandisation se traduit dans le plan-bilan par le soutien accordé à l’initiative privée et au marché au travers d’une série de «mesures fiscales en faveur de la création» : ce sont les lois sur le paiement des droits de succession et de l’Impôt sur la fortune en œuvres d’art, sur le mécénat d’entreprise, et sur l’allègement du taux de TVA pour les œuvres audiovisuelles. Cette très libérale orientation pense pouvoir agir «en faveur de la création» en concentrant son action en faveur des… collectionneurs et des marchands d’art privés.
Ces mesures d’inspiration libérale sont fondées sur l’hypothèse plus que discutable selon laquelle le marché serait moteur de la création, sur l’illusion que la logique économique du marché converge, en dernier ressort, avec la dynamique créative de l’art, sur la confusion entre le caractère intempestif de la création et la nature pacifiée des objets du marché — fût-il d’art.

Pour autant, ce culte du marché est en quelque sorte idéologiquement contrebalancé par d’autres choix résolument en faveur de l’action publique en matière d’art : le «nouvel essor pour la commande publique», la «relance du 1% artistique dans les constructions publiques», et le «maintien de l’engagement de l’État sur les crédits alloués aux Frac» contre lesquels persistent des pôles d’hostilité, vingt-cinq ans après leur création, et en dépit de leur incontestable réussite.

On suivra avec la plus grande vigilance l’engagement pris de mettre en œuvre un «grand plan pour l’Éducation artistique et culturelle». On veut croire que ne restera pas lettre morte cette belle affirmation selon laquelle «il est plus que jamais nécessaire d’éduquer les enfants à l’art et à la culture dès l’école».
On se rappelle en effet que Jack Lang (ministre de l’Éducation) et Catherine Tasca (ministre de la Culture) avaient conjointement créé en 2001 dans le primaire les classes PAC (à projet artistique et culturel) qui devaient permettre sur le temps scolaire, à raison de huit à quinze heures par an, d’organiser avec des artistes des rencontres, des interventions et des ateliers. Un budget de 1200 euros était prévu par classe.
En brisant cette initiative dès son arrivée au ministère de la Culture, Monsieur Aillagon a pris la responsabilité de maintenir délibérément le regard des élèves en friche…

André Rouillé

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Vincent Olinet, Je vous aime tous, 2006. Techniques mixtes. Courtesy galerie Laurent Godin, Paris.

Lire le Plan d’action et de développement en faveur de l’art contemporain

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