PHOTO | CRITIQUE

Fly or Die

PEtienne Helmer
@12 Jan 2008

Dans Fly or Die, Martial Cherrier s’interroge avec ironie et cynisme sur la transformation démesurée de notre corps par l’image que nos sociétés lui imposent.

Quel rapport entre le bodybuilding, des papillons de collection épinglés dans leurs cadres de verre, et la photographie ? Dans Fly or Die, Martial Cherrier, champion de France de bodybuilding en 1997, invente de curieux hybrides: il remplace le corps du papillon par des photographies de son propre corps de champion, avec ses muscles hypertrophiés.
Double mutation donc, et double excès: du corps naturel au corps sculpté, puis de celui-ci au corps mutant, pourvu d’ailes qui semblent enfin lui faire franchir les limites que la nature lui impose. Mais la seconde métamorphose n’est peut-être là que pour mieux faire percevoir ce que la première a de dérangeant et de dangereux sous ses dehors de simple performance: car un corps porté aux limites de ses capacités plastiques sous l’effet d’une part indéniable d’exercice mais aussi et surtout d’une bonne dose de chimie n’est-il pas déjà un corps artificiel, un corps hors normes, aux limites de la mutation fonctionnelle et spécifique ?

La question est certes médicale et technique. Ainsi dans certains cadres, les ailes naturelles du papillon aux couleurs moirées laissent place à des ailes découpées dans des notices de produits pharmaceutiques. Et quand l’embout d’une seringue joue le rôle de l’épingle ordinairement destinée à fixer l’insecte dans le cadre, la prouesse physique montre son macabre revers: le cadre de verre devient cercueil de gloire amère, et fait passer ce corps du rang d’objet spectaculaire à celui d’objet d’une curiosité morbide et peut-être mortifère.

Car cette mutation du corps est aussi sociale et politique: c’est une affaire d’image(s), celle de la normalisation plastique du corps dont les photos de mode et la publicité rassasient notre imaginaire. Le corps ici épinglé, au propre comme au figuré, n’est en effet pas tant le corps individuel ou privé de Martial Cherrier que son corps public, son corps publicitaire, bref, l’image de son corps.
L’excès dans l’hypertrophie auquel le cas personnel de l’artiste sert ici d’illustration n’est que le pendant masculin de l’excès dans l’atrophie des top-modèles féminins. Intoxication chimique contre anorexie, corps pléthorique contre corps squelettique, c’est toutefois un même régime qui domine: celui de l’industrie des corps artificiels et de son ambiguïté, entre puissance et mort.

Fly or Die : grinçant dilemme pour des papillons qui ne volent plus. Fly or Die, ce pourrait bien être «Fly and Die».

Martial Cherrier :
— Série «Fly or Die», 2006. Techniques mixtes.

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