DANSE | SPECTACLE

Fla.co.men

03 Fév - 11 Fév 2016
Vernissage le 03 Fév 2016

Le danseur et chorégraphe Israel Galván réinvente encore et toujours la danse traditionnelle andalouse du flamenco depuis sa toute première création, ¡Mira!/Los Zapatos Rojos, en 1998. Le Théâtre de la Ville présente son spectacle Fla.co.men, créé en 2014 à l’occasion de la biennale de flamenco de Séville.

Israel Galván
Fla.co.men

«Le génie, écrivait Julio Cortázar, c’est de se parier génial et de tomber juste.» Né à Séville, de parents eux-mêmes bailaores (José Galván et Eugenia de los Reyes), Israel Galván a eu le génie de réinventer l’art du flamenco; pas simplement de le «moderniser» ou de le «théâtraliser» comme d’autres avant-lui, mais d’en reprendre toute la syntaxe, héritée d’une longue transmission, et de la soumettre à un vocabulaire absolument neuf.

Et toute la maestria dont est capable Israel Galván, forgée dès l’enfance lorsqu’il accompagnait ses parents dans les tablaos andalous, puis au sein de la compagnie dirigée par l’immense Mario Maya; cette virtuosité qu’il cultive aujourd’hui inlassablement dans le travail de studio, il la met en jeu avec une extraordinaire liberté.

Mieux: aussi concentré soit-il sur la ligne rythmique de son compás, il semble en perpétuel état d’amusement, comme aimanté par une fantaisie qui vient ponctuer, voire conclure, chacun de ses enchaînements. Le génie, alors, n’est pas étalage d’une technique, si brillante soit-elle, mais capacité à surprendre ce savoir-danser, à aller au-devant de l’imprévu et à braver les frontières d’une connaissance acquise.

Qu’il danse en solo (comme cet été, dans la cour du musée Picasso, pour le festival Paris quartier d’été) ou en duo (avec Akram Khan la saison passée au Théâtre de la Ville, dans un fertile entremêlement des racines du flamenco et de la danse kathak); ou qu’il s’engage dans de plus amples tableaux (l’Apocalypse en toile de fond d’El final de este estado de cosas, redux; le génocide tzigane pendant la Seconde Guerre mondiale dans Le Réel/Lo real/The real), Israel Galván envisage chaque nouveau spectacle comme une façon de faire tabula rasa, en ourdissant chaque fois de nouvelles arborescences.

Derrière le jeu d’inversion de syllabes de Fla.co.men, créé en septembre 2014 à la biennale de flamenco de Séville, il y a toute la sève d’un génie recommencé. S’il tourne fiévreusement, jusqu’à les envoyer balader, les pages d’une partition qu’on suppose être celle de ses spectacles précédents (les connaisseurs pourront reconnaître certaines «citations»), Israel Galván largue bien vite les amarres.

Du talon jusqu’au bout des doigts, son corps déploie une gamme insensée de figures et de rythmes. Bras tour à tour anguleux ou serpentins, jambes électriques frappant toutes les nuances possibles du zapateado, mouvement impétueux ou recueilli comme aux aguets, fougue maîtrisée se piquant de tocades: la danse est en permanente effusion. Il n’y a ici ni thème ni argument qui en guident l’intention, mais une musicalité affûtée, qui ne craint ni d’épouser des airs folkloriques, ni de frayer avec la dissonance.

Israel Galván est solidement entouré par un attelage musical plutôt hétéroclite et inhabituel dans le flamenco: deux chanteurs, David Lagos et Tomás de Perrate, dans des tonalités vocales bien distinctes; le guitariste Caracafé, intense et malicieux; la polyinstrumentiste et exquise Eloisa canton (violon, flûte, cor, guitare électrique); et les deux musiciens (le saxophoniste Juan Jimenez Alba et le percussionniste Antonio Moreno) de Proyecto Lorca.

Israel Galván est en dialogue avec chacun d’eux, puis prend part à un chorus qui s’aventure dans une embardée très free jazz. Et dans le chahut de cette fête joyeusement désaccordée, comme empreinte d’une certaine ivresse, la danse tient son cap, chemin buissonnier qui sait faire fi des itinéraires trop bien balisés.

«Ainsi la ligne a-t-elle chaque fois un désir, qu’elle suit tout en le découvrant. […] Que le parcours ainsi créé soit enjoué à loisir, il a toutes les chances de rester éblouissement devant la découverte, et non pas redondante satiété», écrivait René Char de la peinture de Joan Miró. Mot pour mot, la même chose pourrait être dite de la danse d’Israel Galván.

Jean-Marc Adolphe

direction, chorégraphie et danse: Israel Galván
musiciens: David Lagos, Tomás de Perrate, Eloisa Canton, Caracafé, Proyecto Lorca (Juan Jimenez Alba et Antonio Moreno)
direcion artistique et chorégraphie: Sevillanas Pedro G. Romero
mise en scène et chorégraphie: Alegrías Patricia Caballero
conception lumières: Rubén Camacho
son: Pedro León costumes: Concha Rodríguez

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