DANSE | CRITIQUE

Faut qu’je danse! et Daphnis é Chloé

PCéline Torrent
@03 Mai 2011

Vingt ans après l’avoir créée pour Mathilde Altaraz, Pascal Gravat et lui-même, Jean-Claude Gallotta nous offre une nouvelle version de son Daphnis é Chloé, déléguant son interprétation à trois jeunes danseurs, mais l’introduisant en personne en un solo préliminaire intitulé Faut qu’je danse.

Préambule soliste

Si le chorégraphe ne reprend pas le rôle de Pan qu’il tenait en 1982, il monte néanmoins bel et bien sur les planches, se plaçant simplement en retrait de l’œuvre comme pour mieux la remettre en perspective à travers le récit de sa création. Entrant en scène sans façon, singulier petit bonhomme de noir vêtu, il vient se placer devant ses « notes », à juste titre présentées sous la forme d’une partition musicale.

Rythmé du leitmotiv « je m’souviens », le flux réminiscent, tout en charisme vocal, n’aura de cesse que d’être entrecoupé d’un « faut qu’je danse » impérieux, impatient, arrachant le chorégraphe à sa lecture, le texte à la page, alors que les mots se font mouvements. Entre gesticulations et ébauches des figures à venir, Gallotta se souvient… ou plutôt c’est le souvenir qui, littéralement, « sous-vient », comme une démangeaison intérieure, fureur de danser plus forte que le danseur.

Jean-Claude Gallotta danse comme absent au monde, psalmodiant ses saltations en italien dans une transe somnambulique dont on ne peut être que les spectateurs lointains, trop lointains ? La force du solo pourrait bien constituer sa faiblesse : si les soubresauts étranges, presque compulsifs témoignent d’une urgence puissamment intime de « saltare », ils nous laissent d’autant plus à l’orée du spectacle, en marge de quelque chose que nous ne saurions saisir…du moins dans l’immédiat.

Mais, placé en amont du Daphnis é Chloé, le prélude de ce faune anachronique révèle tout ce que la création recèle de la persona créatrice. Ainsi c’est en une diffraction toute naturelle du solo que le trio prend à son tour possession de l’espace, ronde tripartite parachevant le menuet solitaire esquissé par le chorégraphe. Est révélé alors sans équivoque le caractère éminemment personnel de l’œuvre, alors que le langage propre, naturel à Jean-Claude Gallotta, sa « drôle de dégaine », se transforme en écriture élaborée.

Daphnis é Chloé
, nouvelle version

A l’image du créateur, la sobriété extrême du decorum n’a d’égale que la complexité d’une chorégraphie impitoyable pour les corps. Aux enchaînements de petits pas précis-pressés, tout en finesse baroque, succèdent des sauts invraisemblables — ils ne sont pas sans rappeler les bonds d’un autre faune (jambes parallèles repliées, cassant les arabesques et les pointes de pieds avant la tension classique), le faune primitif, dont Pan semble parfois reprendre les postures caractéristiques, mains tendues, pouces dressés vers Chloé… Notons que si le Daphnis é Chloé de Jean-Claude Gallotta se réfère évidemment à son ancêtre fokinien, Nijinski laisse sans conteste l’empreinte de sa patte sylvaine sur cette « nouvelle » nouvelle version du ballet russe…

Un monde clos se dessine : le trio se fait triolet, notes de musique se crochant et se raccrochant les unes aux autres ! Ravie d’être ravie, Chloé, dans sa robe couleur nuit sertie de croissants de lune, se jette indifféremment dans les bras de Daphnis ou de Pan, figures volontairement indifférenciées, se fondant dans le seul nom prononcé, ou plutôt invoqué dans la pièce : « Daphnis »… La légèreté riante de leur carrousel ferait presque oublier l’épreuve réelle infligée aux corps qui n’ont guère de répit entre deux séquences rythmiques à la cadence quasi infernale, tacitement mue par le « faut qu’je danse » gallottien.

Entre innocence enfantine et érotisme provocateur, Chloé, Daphnis et Pan, mettent en scène, dans l’intimité de leur cercle, l’amour de l’amour, l’amour de la danse, nous donnant à l’instar du solo introductif l’impression d’être de trop. Nous restons comme en retrait, sur le carreau de la scène, dépassés, débordés par cette frénésie de mouvements, qui n’épargne pas plus notre œil que les corps des danseurs.

Faut qu’je danse! (création, prologue à Daphnis é Chloé)
― Chorégraphié et interprété par : Jean-Claude Gallotta
― Assistante à la chorégraphie : Mathilde Altaraz
― Musique originale : Strigall
― Musique : Strigall, création originale, Henry Torgue, extrait des Doigts de paille
― Costumes : Jacques Schiotto et Marion Mercier
― Dramaturgie : Claude-Henri Buffard

Daphnis é Chloé (re-création)

― Chorégraphie : Jean-Claude Gallotta
― Assistante à la chorégraphie : Mathilde Altaraz
― Musique et enregistrement : Henry Torgue PIANO
― Costumes : Jacques Schiotto et Marion Mercier
― D’après Jean-Yves Langlais
― Dramaturgie : Claude-Henri Buffard

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