ART | EXPO

Face à la mer

04 Déc - 15 Jan 2011
Vernissage le 04 Déc 2010

Depuis plus de vingt ans, Marcel Dinahet enregistre les mouvements de la mer, dans une multitude de captations amphibiennes ou à fleur d'eau, captés par une caméra à demi immergée.

Marcel Dinahet
Face à la mer

La galerie présente une exposition personnelle de Marcel Dinahet en écho à celles de l’Abbaye de Maubuisson et de la galerie Domobaal à Londres. Une monographie anthologique paraîtra en décembre aux éditions Lienart. Cet ouvrage est le fruit d’une co-production entre la Criée à Rennes, le Frac Alsace, le Frac Bretagne, le Centre d’art contemporain de Sète, l’Abbaye de Maubuisson et la galerie Les Filles du calvaire.

Cet ensemble d’expositions et cette monographie qui retracent plus de vingt années de création et de voyages permettront d’aborder la profondeur de ce travail singulier dans lequel l’élément aquatique est presque toujours le contexte fondateur de l’oeuvre.

En effet, depuis plus de vingt ans Marcel Dinahet enregistre les mouvements de la mer, dans une multitude de captations amphibiennes ou de flottaisons de sa caméra à demi immergée, soit qu’il filme un corps en immersion, soit que le film devienne le transcripteur direct d’un surprenant paysage en limite d’horizon.

Ce n’est d’ailleurs pas vraiment un paysage au sens habituel mais plutôt une perception maritime d’une bande de terre aux limites indécises qui ondule entre eau et air affectée d’un mouvement aléatoire induit par le courant ou la vague — sorte de jeu mental entre point de vue et contrepoint, champ et hors champ.

De ses périples soigneusement étudiés, il ramène des images surprenantes qui échappent, à première vue, à toute logique documentaire ou narrative. Enregistrées par une caméra souvent confiée aux éléments, aux mouvements de la mer ou à ceux du corps qui se déplace à pied ou en voiture, elles ont un impact physique sur le spectateur.

Semblant traduire cette «vision sans regard» dont parle Virilio elles restituent une expérience des espaces traversés, éprouvés plutôt que vus. Et si les images rapportées sont hors normes, toujours à la frontière du réel et de la fiction, elles sont à la fois simples et poétiques, brutes et sensuelles. Par la suite, l’artiste en décuple l’efficacité en fonction de montages qu’il réalise à partir de plans séquence pouvant durer d’une minute à plusieurs heures.

Dans une deuxième phase, celle d’une exposition plutôt que celle d’une simple projection, il implique voir «immerge» directement le spectateur dans des dispositifs pouvant inclure plusieurs écrans ou plusieurs projections ainsi que différentes hauteurs de perception visuelle et sonore. L’espace de présentation influant lui-même sur la conception de l’installation.

L’exposition de la galerie permettra de découvrir plusieurs créations récentes dont Kaliningrad ensemble de films issus d’une résidence de l’artiste dans ce lieu improbable et dont le nom suggère déjà un décalage géographique et culturel important. Ce déplacement se confirme dans la projection de captations hivernales surprenantes d’eau et de glace mêlées, et dont l’impression visuel de puissance et de mise en danger est renforcée par la bande sonore faite de craquements et de frottements gelés mêlés aux bruits de moteur des bateaux.

Dans un premier temps, l’installation nous embarque dans une sorte de rêve à distance qui serait évocateur d’un voyage intérieur ou d’une évocation éventuelle de la mélancolie slave. Dans une pensée plus réflexive, nous pouvons percevoir la présence industrielle et militaire du port relativement délabré qui nous renvoie, quant à elle, à son importante histoire géopolitique dans une sorte de renversement symbolique induit par la perception inversée de la réalité.

La deuxième installation, Le Fleuve, fonctionne également sur plusieurs niveaux de perception car Dinahet a filmé Londres comme personne ne l’a encore fait. Version «vue de la Tamise», la ville nous apparaît étrange, vigoureusement ballotée d’un écran à l’autre, d’une rive à l’autre. Dans un article récent, Jean Marc Huitorel en relève fort intelligemment la symbolique, au-delà de la surprenante charge formelle induite par les vues architecturales qui renvoient tant à l’impressionnisme d’un Monet qu’à l’histoire de l’architecture postmoderne.

Le fleuve, c’est la Tamise dans son passage londonien, là où la mer le dispute encore à la rivière, filmée depuis les plages de sable qui la longent en face de la City, du City Half de Westminster et de la Tate Modern. Un plan pour le pouvoir de la finance, un autre pour le spectacle, un pour le pouvoir politique, un enfin pour la culture, tous ballottés par une caméra flottant sur l’eau et imposant à la monumentalité rigide des bâtiments l’instabilité de l’espace et de la lumière, celle aussi, qui sait, de ces temps de crise sapant les fondations qu’on croyait solides.

Enfin, Marcel Dinahet se pose. Contemplatif, il filme simplement, dans son pays: à Ouessant, les Falaises et le mouvement du va-et-vient de la mer confrontée à leur mur, révélant la masse et l’énergie physique de cette dernière. La frontalité de la vidéo est telle qu’elle renverse la notion d’horizon celui-ci devenant liquide pour le coup, tandis que le minéral impose, sans contrechamp, sa poétique grandiose et brutale. Il n’y a plus d’échappatoire au regard hormis dans l’infinie variété de la lumière sur la roche qui fonde tout autant la prise de vue que l’image elle-même. L’horizon ne se perçoit plus alors qu’à travers cette ligne de démarcation étrangement poétique dont le ressac a marqué la pierre.

Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Alexandrine Dhainaut sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.

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