PHOTO | CRITIQUE

Exaltation, Gaze, Xteriors

PRaphaël Brunel
@12 Jan 2008

La transe, l’aliénation des sens, l’inexpressivité sont, pour Désirée Dolron, autant d’outils pour signifier l’intériorité des tensions et des angoisses d’un individu face à une situation qu’il essaye de contrôler ou à laquelle il tente d’échapper.

Le point commun entre les trois séries de photographies présentées par Désirée Dolron est sûrement de figurer la nécessité d’accéder à un oubli de soi, en tant qu’être sensoriel et pensant, dans des situations physiquement ou psychologiquement éprouvantes pour le corps humain.

La première série, intitulée «Exaltation», a été réalisée en Asie lors de fêtes religieuses. Outre les manifestations de dévotion telles qu’elles peuvent s’exprimer dans les croyances et les pratiques occidentales, les photographies de Désirée Dolron rendent compte d’expériences spécifiquement liées aux rites orientaux comme les phénomènes de transe ou d’automutilation.
Il en résulte des images souvent impressionnantes, parfois même effrayantes, de foules en liesse ou d’individus envoûtés par une force étrange ou par un esprit puissant.
Le spectateur croise donc dans la galerie de portraits proposée par l’artiste un homme dont la joue est perforée par une épée démesurément grande, un autre dont la bouche est transpercée de dizaines de piques et dont l’arcade sourcilière soutient de lourds crochets, un encore qui se scarifie la poitrine ou se flagelle à l’aide d’objets oblongues et tranchants. Dans cet état des sévices religieux, le visiteur se retrouve également confronté aux rites païens de la Rome antique, désormais indissociablement liés au christianisme, que sont la crucifixion et la pose de couronnes d’épines.

Si ces photographies évoquent les rites ancestraux du monothéisme et polythéisme, elles ne sont pas sans rappeler les performances artistiques extrêmes de Hermann Nitsch et des Actionnistes viennois, dans les années soixante.
En se définissant sur le mode du reportage et du noir & blanc, les images de Désirée Dolron font également écho à celles réalisées par Henri Cartier-Bresson en 1948 et recueillies dans l’ouvrage Danses à Bali. Ce qui surprend le plus dans les clichés de la Néerlandaise, c’est l’apparente sérénité des individus mutilés. La concentration et la ferveur sont telles qu’elles semblent les rendre insensibles à la douleur, ou, plus encore, que cette douleur est salvatrice. La transe est ainsi rendue possible grâce à l’oubli de soi et du mal ressenti.

Cette volonté d’interroger les souffrances endurées par le corps se prolonge dans la série «Gaze», dans laquelle Désirée Dolron photographie des individus immergés dans l’eau. Les séances de prise de vue longues et pénibles coupent peu à peu les modèles de leur repères sensoriels jusqu’à leur donner l’apparence de noyers.
Cette série perd en partie sa dimension photographique au profit de la peinture, notamment par un traitement qui rappelle le sfumato de Leonard de Vinci. Les images de Désirée Dolron tentent donc de dialoguer avec d’autres médiums artistiques et ne sont pas sans laisser l’impression ressentie face à la vidéo Cinq anges pour le millénaire de Bill Viola.

La série «Xteriors» marque, quant à elle, par la neutralité invoquée, tout autant par la position de la photographe par rapport à son sujet que par l’inexpressivité des modèles. Le portrait constitue ici une indéniable référence picturale puisque l’artiste commence la série après avoir rencontré une jeune femme dans la rue qui ressemblait fortement au Portrait de la jeune fille de Petrus Christus. Aussi bien lises et blafards que lumineux, les portraits de Désirée Dolron questionnent la tradition flamande du XVe siècle. Les visages curieusement déshumanisés de cette série évoquent la crainte intérieure d’un mal lointain qui ne dit pas encore son nom.

Alors pictorialistes les séries «Gaze» et «Xteriors» ? Le rapprochement est en effet tentant, mais, là où des photographes comme Steichen ou Stieglitz cherchaient à imiter la peinture, Désirée Dolron interroge, par des procédés numériques, les limites du médium photographique et n’hésite pas à forcer le dialogue entre les différentes pratiques artistiques.

Institut Néerlandais
121, rue de Lille
75007 Paris

Desiree Dolron
— Exaltation, Images of Religion and Death, Ganges India, 1992. Photo noir & blanc encadrée.
— Exaltation, Images of Religion and Death, Good Friday Lenten Ceremony, Philippines, 1997. Photo noir & blanc encadrée.
— Exaltation, Images of Religion and Death, Shiva Ratry, India, 1997. Photo noir & blanc encadrée.
— Exaltation, Images of Religion and Death, Muharram, Pakistan, 1996. Photo noir & blanc encadrée.
— Exaltation, Images of Religion and Death, Vegetarian Festival, Thailand, 1999. Photo noir & blanc encadrée.
— Study # 02, Gaze, 1996-1998. Photo couleur.
— Study # 05, Gaze, 1996-1998. Photo couleur.
— Study # 15, Gaze, 1996-1998. Photo couleur.
— Study # 16, Gaze, 1996-1998. Photo couleur.
— Study # 18, Gaze, 1996-1998. Photo couleur.
— Study # 22, Gaze, 1996-1998. Photo couleur.
— Xteriors I, 2001-2006. Photo couleur.
— Xteriors II, 2001-2006. Photo couleur.
— Xteriors IV, 2001-2006. Photo couleur.
— Xteriors VI, 2001-2006. Photo couleur.
— Xteriors VII, 2001-2006. Photo couleur.
— Xteriors VIII, 2001-2006. Photo couleur.
— Xteriors X, 2001-2006. Photo couleur.
— Xteriors XI, 2001-2006. Photo couleur.
— Xteriors XII, 2001-2006. Photo couleur.
— Etude pour Xteriors XIII, 2001-2006. Photo couleur.

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