ART | CRITIQUE

Et pis meu là, et pis teu là!

PFlorence Jou
@03 Mar 2011

L'exposition «Et pis meu là, et pis teu là!» du Frac Languedoc-Roussillon décline les façons dont les œuvres interpellent le spectateur. Les horizons qu'elles proposent et les espaces qu'elles construisent esthétiquement au moyen de l'incertitude, la couleur, la torsion, etc.

Par ses anamorphoses, Tjeerd Alkema construit et assume l’illusion. Posé au centre de l’exposition, son cube blanc d’un mètre de côté, fait de contreplaqué agrafé, se tord dans l’espace selon l’angle de perception. Il évoque autant la proue d’un bateau qu’une table d’orientation. C’est notre déplacement qui fait que la matière ne cesse de se métamorphoser. Ce par quoi l’artiste nous conduit à multiplier les points de vue autant qu’à observer le fonctionnement esthétique de l’œuvre.

L’œuvre de Willem Cole, Je vous donne des couleurs, tient de l’abstraction géométrique. Sept carrés de couleur, alignés au mur, tels des monochromes, ont été réalisés en 1998 en superposant des couches de couleurs primaires. Quatre chaises en acier sont placées en vis-à-vis de ces couleurs devenues elles-mêmes objets. Ce sont ainsi les formes plastiques qui déterminent l’espace et le rapport entre le spectateur et l’œuvre, et qui propose la version d’un art à envisager comme un faisceau d’incertitudes, et non plus comme une fenêtre sur le monde.

Au centre de sa toile J’écoute la mer, Sigurdur Arni Sigurdsson a peint sur fond ocre une figure en forme de moule ouverte traversée par la mer et l’horizon, ou de voilier, ou de fenêtre sur le monde, ou peut-être d’écho à L’Origine du monde de Courbet… Par son ambivalence, cette «moule» devient procède à une mise en question de la représentation. Qu’écoute-t-on dans une œuvre sinon la matière qui respire? Que voit-on, sinon sa propre chaire? Qu’éprouve-t-on, sinon le corps et le souffle des œuvres sur notre corps…

Dans le tryptique idHgR (1991) d’Helmut Dorner, les variations d’ocre sur les trois panneaux sont obtenues par superposition de couches de laque. Dans l’extrême brillance de la laque apparaissent des empreintes de graphite, telles des poinçons. Inspiré par les recherches musicales de Boulez ou Stockhausen, l’artiste traite ici, en référence à la musique, la notion de composition, et la nature de la peinture par delà la représentation.

Quant à Arnaud Vasseux, il fait tomber des bulles de savon chargées d’encre qui tracent sur le papier des formes aléatoires, souvent circulaires. Sa sculpture murale Sans titre (Réticulé) a l’aspect d’une sorte de bâche blanche en polyester qui se serait figée sur une structure géométrique alvéolaire composée d’une double rangée de quatre carrés. La forme énigmatique renvoie aux symboles réticulés peints sur les parois des grottes de Lascaux.

Que l’œuvre retienne en sa matérialité le corps et le souffle mêmes de l’artiste, cela s’exprime encore dans Primary Blows / Blown Glass de Seamus Farrell, composée de quatre ampoules qui auraient été obtenues par une seule expiration d’un souffleur de verre. Placée sur quatre murs, chaque ampoule porte en inscription la gravure d’un pronom anglais — «Me», «Him», «Them», «You» —, et deviendrait ces mots-objets soufflés, devenus des paroles gelées, en attente du souffle du spectateur.

Enfin, comme en écho au cube blanc de Tjeerd Alkema, un parallélépipède en résine mat et aux faces en losange, Melencolia de Philippe Decrauzat, recèle une tête de mort presque invisible en référence à une pochette de disque du Velvet Underground. La forme du volume est reprise de la gravure Melencolia de Dürer et joue entre l’espace intérieur et la présence physique de la forme, difficile à appréhender.

Que reste-t-il après la matière? Un espace imperceptible, un dialogue incertain entre l’œuvre et soi, entre soi et le monde… «Il est plus difficile de trouver un lit pour les larmes que pour les visiteurs de passage» (René Char).

— Tjeerd Alkema, 1 mètre cube, 1998. Contreplaqué agrafé, peinture, restauré en polyester (2010), 120 x 143 x 275 cm
— Tjeerd Alkema, Cubes de Necker, 2010. Acier. Diam. 8 cm, 40 x 120 x 54 cm
— Tjeerd Alkema, Sans titre‐Dessins sur papier, 2006. Crayon. 50 x 65 cm
— Willem Cole, Je vous donne des couleurs, 1998. Chaises en acier et peintures acrylique; chaque chaise 85 x 40 x 35 cm; chaque peinture entre 50 x 50 cm et 100 x 100 cm
— Philippe Decrauzat, Melencolia, 2003. Sculpture enrésine, fibre, mousse. 130 x 130 x 140 cm
— Helmut Dorner, i d H g R, 1991. Laque et graphite sur toile; panneau 1 (130,5 x 125 cm), panneau 2 (148 x 118,5 cm), panneau 3
(146 x 108,5 cm)
— Sigurdur Arni Sigurdsson, J’écoute la mer, 1991. Huile sur toile. 45 x 55 cm
— Arnaud Vasseux, Sans titre‐Traces de bulles de savon, 2007. Savon, encre de Chine sur papier. 120 x 80 cm
— Arnaud Vasseux, Sans titre-Gui, 2007. Encre sur papier réalisé selon la technique du Suminagashi. 116 x 80 cm
— Arnaud Vasseux, Sans titre (Réticulé), 2004. Vue de l’exposition à la Galerie De/Di/By, Paris. Polyester, fibre de verre, mousse, 75 x 127 x 28 cm
— Véronique Verstraete, Spirale, 2004. Fer, polystyrène. 67 x 166 x 166 cm

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