ART | CRITIQUE

Erinnern

PBertrand Dommergue
@26 Sep 2011

Candida Höfer et Vincent Ganivet étaient faits pour ne jamais se rencontrer. La photographe allemande immortalise les lieux les plus prestigieux de la culture classique (bibliothèques, musées, opéras, etc.). L'artiste français expérimente des arches en parpaings, sculptures monumentales et précaires. Deux conceptions radicalement opposées de l'architecture.

Reconnaissons-le: à force de perfection les photographies de Candida Höfer auraient pu finir par nous lasser. Grands formats, point de vue frontal, profondeur de champ extrême, lumière naturelle intense, composition symétrique au cordeau: ses dernières séries prises notamment au Neues Museum de Berlin respectent encore et toujours ce protocole, hérité de l’école de Düsseldorf.
Mais, contrairement, à Bernd et Hilla Becher dont le projet consistait dans les années 1960 à documenter avant disparition, en les photographiant le plus objectivement possible en noir et blanc, les derniers vestiges de l’ère industrielle (usines, silos, châteaux d’eau, etc.), Candida Höfer, choisit de porter à son apogée dans des «tableaux» éclatants de couleurs aux confins de la photographie plasticienne, la splendeur de lieux patrimoniaux au prestige intact.
De cette architecture glorieuse et vide de toute présence humaine, elle s’efforce une nouvelle fois de capter l’âme en mettant en valeur aussi bien l’architecture intérieure (colonnes, arcades, niches, fresques au plafond, etc.) que les Å“uvres exposées (sculptures, statues, etc.). Au risque de l’académisme.

Pauvre, bancal, décalé, l’univers de Vincent Ganivet tranche avec cet esthétisme ultra-léché aux confins du sublime. A la célébration, il préfère l’expérimentation. Ce qui l’intéresse? Se tenir au bord de l’effondrement, maintenir le suspens(e).
Son exposition s’appelle «Noli me tangere» (Ne me touchez pas); et il faut la croire sur parole. Car l’équilibre précaire qui caractérise chacune de ses pièces saute aux yeux. Pas étonnant dès lors qu’à l’occasion d’une précédente exposition, Caténaires vrillées — qu’il réinstalle aujourd’hui —, se soit effondrée.
En effet, aucune trace de ciment pour assembler les cinq piliers de parpaings ajourés de cette voûte qui culmine à plus de quatre mètres de hauteur. Nulle magie non plus, mais l’utilisation conjointe du principe mathématique dit «de la chaînette» — dont Gaudi, par exemple, fit usage — pour faire tenir l’arche par son seul poids et grâce à la présence de cales en bois entre chaque parpaing: soit un mélange de calculs savants et de bricolage.

Sa forme évoque une version low tech de la menaçante araignée géante de Louise Bourgeois (Spider, 1997), tandis que son instabilité la rapprocherait plutôt des expérimentations de Richard Serra relatives aux lois de la gravité — de House of Cards (1969) jusqu’à Promenade (Monumenta, 2008).

Cependant, pour échapper à l’effet signature de l’arche en parpaing qui l’a fait connaître et dont il a déjà exposé de nombreuses variations (à l’occasion de «Dynasty» au Palais de Tokyo ou de «Je hais les miracles» à la Collection Lambert en Avignon, en 2010), Vincent Ganivet produit ici deux autres pièces. Fountain I, II, III — qui fonctionne comme un triptyque — est un clin d’Å“il à l’humour duchampien, tandis que Tour Triple Hélicoïdale surenchérit sur la double spirale du Monument à la IIIe Internationale du constructiviste russe Vladimir Tatline (1921).
Mais, au-delà de ces références (trop?) explicites, on retrouve le paradigme cher à Ganivet: l’empilement de matériaux usuels (ici, brique ou vaisselle) et l’usage de «cales» (cales en bois ou simples couverts) en guise de substitut à toute technique d’assemblage.

Contrepoint artisanal, branlant et dérisoire, le minimalisme presque absurde des sculptures modulaires de Vincent Ganivet donne finalement aux colonnes et arcades de l’architecture classique glorifiée par Candida Höfer, le jeu qui leur manquait.

Å’uvres
— Candida Höfer, Neues Museum Berlin VII, VIII, XIII, XV, XX, XXII, XXV, 2009. Photos
— Candida Höfer, Archivo di Stato Napoli I, II, 2009. Photos
— Candida Höfer, Archiva general de Indias Sevilla I, IV, 2011. Photos.
— Vincent Ganivet, Caténaires vrillées, 2011. Sculpture en parpaings, cales, béton
— Vincent Ganivet, Tour triple hélicoïdale, 2011. Sculpture en briques rouges
— Vincent Ganivet, Fontaine I, II, III, 2011. Vaisselle, évier, pompe à eau

 

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