ÉCHOS
28 Oct 2009

elles@centrepompidou, attention, accrochage de femmes

PPaul Brannac
@

Ô femme ! femme ! femme ! créature faible et décevante !... nul animal créé ne peut manquer à son instinct; le tien est-il donc de tromper ?...
[C’est un Espagnol qui divague]

Certes, on peut appeler véhémence la passion qui fait prononcer ces paroles à Figaro abusé par Suzanne; certes le petit barbier sévillan a bien dû s’en vouloir de son emportement en découvrant l’heureuse issue du quiproquo théâtral orchestré par Beaumarchais; certes mais néanmoins, par-delà les contingences de l’intrigue et les errements du sentiment, n’est-elle pas éternelle cette adresse au sexe faible tant son propos est plein de vérité, chargée de raison, empreint de justesse quant à la principale qualité de la gent féminine qui tient tout entière dans son aptitude à la tromperie? Marilyn a dit un jour: «Les femmes ont deux armes: le fard et les larmes». (Et ses exégètes se demandent encore comment l’héroïne de Certains l’aiment chaud a bien pu parvenir, dans la langue de Molière, à doubler une rime riche tout en réussissant un alexandrin; à moins qu’Arthur Miller, cocu, ne lui ait soufflé la formule).

La force de la femme en effet, son décisif avantage sur le sexe fort, ne tient pas tant dans sa propension à la dissimulation que dans sa pente naturelle à l’illusion; deux qualités qu’elle manie et alterne avec une aisance telle qu’elles se renforcent chacune. (Beaumarchais lui-même ne fut-il pas abusé par l’habileté de travestissement du Chevalier d’Eon qui pourtant était un homme, c’est dire si elle était habile?) C’est parce qu’elle est, par nécessité, une illusionniste, que la femme est, naturellement, une grande artiste.

Après des recherches ardues et multiples, un long travail de vérification et de recoupement des faits, parachevé par une réflexion intense et une concertation approfondie, le Musée national d’art moderne Centre Pompidou est également parvenu à cette conclusion que la femme est apte aux arts puisqu’elle est disposée au mensonge.
A une époque où, dans nul autre domaine, les femmes n’ont plus à souffrir les discriminations officielles non plus que les lazzi quotidiens — ou les a priori critiques divagateurs —, à une époque donc où tout va bien pourvu qu’on se tienne un peu tranquille, il est incroyablement effarant que des gens aussi progressistes et si peu enclins au sexisme que les conservateurs aient pu concéder autant de retard à admettre cette évidence: la femme ment donc la femme crée.
A l’inverse de la coquine, il y a l’homme, qui est probe, sincère, un peu benêt même, en un mot attachant, ne sait rien faire de ses dix doigts et son handicap est la marque de son honnêteté. L’histoire a pourtant fourni d’illustres exemples qui ont depuis longtemps prouvé l’inclination biologique de la femme aux arts, voire aux lettres. Il suffit de lire les talentueuses missives amoureuses de la religieuse portugaise du Siècle d’or pour se soumettre à cette vérité anatomique (laquelle religieuse portugaise n’est sans doute pas le meilleur exemple dans la mesure où elle n’était peut-être pas religieuse, peut-être pas non plus portugaise et on n’est pas certain qu’elle ait été une femme, mais en tout cas elle fut une sacrée menteuse).

Nonobstant ce regrettable contretemps sur la modernité, il convient de saluer — d’applaudir même — l’exposition historique et courageuse qui a ouvert en mai au Centre Pompidou et qui s’intitule, avec toute la contemporanéité qui lui sied, elles@centrepompidou.
Historique parce que c’est la première fois qu’un musée mène une telle initiative (les communiqués de presse y insistent) sur huit mille mètres carrés répartis en deux étages, à croire que, jusque là, on les a fait patienter en réserve, entassées depuis trente ans. Courageuse, parce que maintenant qu’elles ont investi plus de la moitié du musée avec peintures, sculptures, vidéos, photographies, broderies et carabines — et à moins de recourir aux services d’un commando CGT comme on n’en voit plus guère entrer en action que pour expulser la misère exotique des bourses du travail —, il sera pour le moins malaisé de les en déloger.

Quant à l’exposition en elle-même, eh bien comme un roman de Dostoïevski, elle est impossible à résumer, comme l’histoire de l’art, elle est hétérogène. En matière de qualité pas d’injustice, la parité a toujours été respectée avec les scrupules et la cruauté du temps qui passe et oublie ce qui ne le regarde pas: tout le soi, l’entre soi, l’anecdote, la référence, le message politique, l’effet, le mépris ironique et le désabusement feint; toutes les stratégies des effrayés de la matière et des craintifs du jeu en somme.

L’exposition est-elle féministe? A ce sujet, les organisateurs préfèrent opter pour le conditionnel et demeurer précautionneux: «elles@centrepompidou peut apparaître comme un manifeste», elle «se propose […] d’interroger l’hypothèse d’une histoire de l’art portée par les femmes», «ni féminin ni féministe le point de vue adopté est d’abord de montrer et de rendre hommage à des artistes»…
«Interroger une hypothèse» ne risque pas en effet de conduire à des conclusions trop radicales, jusque là le risque de désaccord théorique est même quelque peu modéré, comme on ne reprochera pas à un musée de montrer et de rendre hommage à des artistes. Quelque part, on pourrait même pousser la hardiesse jusqu’à avancer que c’est un peu son rôle.

Il n’est pas certain cependant — il faut rester d’une prudence égale — qu’un hommage à des œuvres d’art dont le choix s’opère sur le critère de la nature du sexe de leurs auteurs soit des plus pertinents. En d’autres mots — moins prudents ceux-là — il est quelque peu insultant de se voir exposer non pour ce qu’on a fait mais d’abord pour ce que l’on est. Il peut y avoir d’excellentes raisons pour retenir semblable thématique, comme de contrebalancer une iniquité séculaire, d’excuser une injustice qui saute aux yeux de qui a déjà parcouru le Louvre (hors Guillemine Benoist et son saisissant Portrait d’une négresse en Liberté républicaine, notre orgueil muséal est l’antre du conservatisme le plus prude), mais l’artifice de la démarche en dévoile la vacuité avec une pusillanimité typique.
Que fera-t-on à l’heure de décrocher les femmes? On raccrochera les hommes? ou bien l’on admettra enfin l’égalité de droit artistique au regard de la qualité des œuvres, et non plus à l’aune de leur époque, de leur école, de leur catégorie abstraite ou figurative, de la nationalité de leurs auteurs, ou pire, eu égard au sexe de ceux-ci. Il reste quelques temps – si le climat le permet – avant que l’on dérange véritablement, et non sur un coup de pub, le bel ordonnancement de nos musées. Ou, mieux encore, qu’un artiste refuse de participer à une manifestation qui n’a même pas le cran d’un manifeste, en arguant que les raisons qui y président lui sont franchement déplaisantes. Mais cela vraiment ne se peut car la femme, non seulement est perfide, mais elle est vaniteuse comme un homme.

Etrangement — et finalement — revient à l’oreille une autre réplique du Mariage de Beaumarchais; les Lumières n’en finissant pas de nous perturber le sommeil. Cette fois les paroles sont de l’infortunée Marceline, la mère révélée de Figaro, apostrophant les hommes qui blâment l’inconséquence de la femme de charge: Dans les rangs même plus élevés, les femmes n’obtiennent de vous qu’une condition dérisoire; leurrées de respects apparents dans une servitude réelle; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes; ah, sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur, ou pitié !

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