ART | CRITIQUE

Élisabeth Ballet

PMaxence Alcalde
@12 Jan 2008

Sculpture plutôt qu’installation, entrecroisement d’interrogations minimalistes et conceptuelles avec des fragments autobiographiques.

Quitte à choisir entre deux figures de l’art in situ, l’œuvre d’Élisabeth Ballet se situerait davantage du coté d’un Daniel Buren répétant ses bandes dans les lieux où il expose que des land-artistes agissant directement sur la nature.

Son fonctionnement a ce coté systématique doublé du souci constant du contexte qui anime ses installations. C’est par ailleurs cet engagement qui l’entraîne bien souvent à réinterpréter sans cesse quelques unes de ses pièces pour les adapter à l’espace qui les accueille. Preuve en est Leica (2004), couloir en plexiglas bleu à échelle humaine doublant la longueur et la frontalité de la baie vitrée de la galerie. S’imposant comme une sculpture, cette œuvre invite à parcourir l’espace qu’elle couvre, non sans développer une certaine séduction esthétique. Le chemin qu’elle décrit nous est suggéré par un logotype d’issue de secours qui se trouve à l’extrémité de la pièce. Cette idée de course et de fuite s’inscrit comme le leitmotiv de cette présentation dans la galerie. Notre fuite est cependant bloquée par la fascination de l’objet à la fois étrange et étranger.

La même logique de déplacement est reprise avec Dans un an/Il y a deux jours (2004). Rejouant le rideau de perle cher à Félix Gonzalez-Torres, Élisabeth Ballet installe un rideau constitué de lettres en inox. Au repos, ces lettres forment la phrase énigmatique «Oh cela te perd répéta l’écho», mais ce message est rapidement brouillé par l’absence de ponctuation et son mélange lors de notre passage. Jeu entre la typographie des caractères, mais aussi avec la double sonorité qu’entraîne la prononciation et l’entrechoquement des lettres en métal, cette pièce convoque la totalité de notre attention. Nous sommes entre l’impossibilité de lire et l’impossibilité de traverser cette oeuvre qui nous y invite pourtant. Ici, c’est notre corps qui rend la lecture de l’œuvre impossible.

Une fois n’est pas coutume, c’est une posture statique — ou plus exactement assoupie par une forme de lassitude — qu’Élisabeth Ballet propose avec Beautiful Outside (2004). Entre l’installation et le carnet de croquis, cette œuvre présente une série de portraits d’individus au regard perdu vers un ailleurs. Cette œuvre qui rappelle les réactions qui apparaissent dans les réunions qui s’éternisent — impression renforcée par ce rouleau qui court le long des murs de la galerie — exclut le spectateur de la scène et l’encourage à s’échapper du white cube de la galerie. Finalement, comme une boucle à laquelle fait directement référence Beautiful Outside, nous revenons au mouvement, même si celui-ci n’est pas corporel, mais définitivement cérébral.

Constitué de ce qu’elle préfère définir comme sculpture que comme installation, l’œuvre d’Élisabeth Ballet poursuit les interrogations de la génération de l’art minimal et conceptuel en y injectant des fragments autobiographiques. Fuyant le réflexe moderniste de catégorisation, elle butine, brouille les pistes, et questionne sans distinction l’universel du matériau et le singulier du sujet sans que jamais cet ennemi qu’est la lassitude n’étreigne le spectateur.

Élisabeth Ballet
Entrée
— (ici)(ailleurs), 1990. MDF vernis. 56 x 59 x 28 cm.

Salle I
— Leica, 2004. Plexiglas. 180 x 980 x 83 cm.

Salle II
— Dans un an / il y a deux jours, 2004. Acier inoxydable poli, miroir. 310 x 330 x 0,15 cm.

Salle III
— Beautiful Outside, 2004. Dessins au feutre à l’encre de chine sur toile enduite, contre plaqué, Dimension variable. Longueur totale des 2 rouleaux. 29 m.
— Schlüterstrasse, Berlin, le matin, l’après midi, 2000. Vidéo.
— Schlüterstrasse, Berlin, neige, 2000. Vidéo, double projection en boucle. 16 min.
— Les glissements légitimes du savoir, 1992. MDF vernis. 32,5 x 28,5 x 20 cm.
— C’est pourquoi, 1992. Plexiglas. 13 x 30 x 25 cm.
— L’exercice de toute langue réelle, 1992. MDF vernis. 32 x 56 x 47 cm.

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