ÉDITOS

Du pénis dans l’art

PAndré Rouillé

Le corps est une question récurrente, mais sans cesse reformulée, de l’art contemporain. Aujourd’hui peut-être plus que jamais, où le corps et l’art connaissent l’un et l’autre de profondes transformations. Le temps paraît bien loin où, au tournant des années 1970, des artistes comme Gina Pane ou Valie Export inscrivaient leur art dans une interrogation politique de leur corps de femmes.

Le corps est une question récurrente, mais sans cesse reformulée, de l’art contemporain. Aujourd’hui peut-être plus que jamais, où le corps et l’art connaissent l’un et l’autre de profondes transformations. Le temps paraît bien loin où, au tournant des années 1970, des artistes comme Gina Pane ou Valie Export inscrivaient leur art dans une interrogation politique de leur corps de femmes.

Où des hommes comme Michel Journiac engageaient, à partir d’une difficile affirmation homosexuelle, un brouillage des frontières sexuelles. Où, également, Mike Kelley et Paul Mac Carthy maniaient la scatologie et la pornographie contre les tabous corporels et sexuels.
Les performances artistiques étaient d’autant plus violentes qu’elles se voulaient également politiques et transformatrices ? on se souvient des automutilations de Gina Pane, ou de Messe pour un corps où Journiac conviait l’assistance à communier avec du boudin fait de son propre sang. La violence était à la mesure de la force des interdits, et de la rigidité sociale en matière de pratiques corporelles et sexuelles. C’était un art d’action à fortes résonances politiques, et largement préoccupé par le corps féminin.

Les expositions récentes ou actuellement en cours à Paris — Philippe Meste (Jousse Entreprise), Gelatin (Emmanuel Perrotin), Annika Larsson (Cosmic) et Martial Cherrier (Noirmont Prospect) — font apparaître une nouvelle configuration caractérisée par une désocialisation et un double phénomène d’affirmation du pénis et de défaite du phallus.

Cette nouvelle configuration du corps artistique est d’abord radicalement masculine en ce qu’elle repose largement sur le pénis dans tous ses états : de la turgescence naissante dans la vidéo d’Annika Larsson à l’érection ostentatoire chez Gelatin, jusqu’à l’éjaculation chez Philippe Meste. Cette exposition phallique est à rapprocher des photographies de François Rouan, chez Daniel Templon, dans lesquelles le sexe féminin disparaît significativement sous l’image en négatif ou dans les entrelacs du photomontage.

L’autre aspect, qui semble faire largement écho à une situation plus globale, est la défaite de la politique. Le corps est replié sur le territoire privé, l’intime est coupé de sa dimension sociale — à l’inverse des performances des années 1970 qui cherchaient, dans une visée politique, à traduire les entrecroisements entre le collectif et l’individuel.
Annika Larsson filme ainsi sur une plage de nulle part trois hommes rapportés à un rituel complexe et énigmatique de désir et d’échange d’objets métaphoriques, de regards et de gestes lents.

Ces corps sans contexte, comme en apesanteur entre terre et ciel, expriment en fait certains traits du corps masculin d’aujourd’hui : la féminisation, la fragilisation, voire la soumission. En fait, l’ostentation du pénis apparaît comme le symptôme d’une défaite phallique. La non érection de l’acteur nu d’Annika Larsson (une femme) traduit cette situation d’une expression non phallique des échanges sensuels et sexuels, en l’occurrence homosexuels.
Symétriquement, les érections des artistes du collectif Gelatin nus devant des paysages grandioses, les éjaculation de Philippe Meste sur des miroirs, ou les masturbations de Martial Cherrier, sont en pure perte, dans le vide, sans autre, sans échange, sans réciprocité.

André Rouillé.

Photo :
Annika Larsson, Pink Ball, 2002. DVD en boucle, 16’13’’. Courtesy Cosmic Galerie.

AUTRES EVENEMENTS ÉDITOS