ART | CRITIQUE

Douglas Gordon

PLaurent Perbos
@15 Juil 2007

Pour sa nouvelle exposition à la galerie Yvon Lambert, Douglas Gorgon présente ses trois dernières œuvres. Dans un espace épuré, empreint d’une sensibilité à fleur de peau, il explore les thèmes de la vanité et de la mémoire dans des sculptures qui convoquent le corps ou du moins, ce qu’il en reste.

Éclairage cru : la salle dans laquelle nous entrons, met en lumière la première sculpture de l’artiste. Nouvelle édition d’un moule en cire de 1999, Fragile Hands Collapse Under Pressure est posée à même le sol. Cette main en or blanc nous fait face. Elle semble nous pointer du doigt et nous prendre à parti. En y regardant de plus près, on s’aperçoit que l’index n’est pas tendu en notre direction. Il est croisé avec le majeur, symbolisant ainsi ce qui pourrait être un geste d’espoir.
L’artiste a-t-il fait un voeux qu’il souhaite voir se réaliser? Moment suspendu, pétrifié, immortalisé dans la matière. Ce membre amputé est abandonné dans cet espace vide. Il est le réceptacle de multiples interprétations, le média d’une possible relation sociale entre les gens.

Élément récurrent dans le travail de Douglas Gordon, la main évoque l’identité, la sensualité, la violence. L’oeuvre présentée ici concentre tous ces thèmes. Les détails de la peau inscrits dans le métal précieux sont les garants de la singularité de l’artiste, de son unicité en tant qu’être et créateur.
Les reflets dorés et la douceur de la texture lisse et polie de cette sculpture incite au toucher, à la caresse. A l’inverse, les tiges qui transpercent la main de part en part, bouleversent le sentiment de calme et de sérénité qui se dégage de l’ensemble. Pareilles aux flèches plantées dans le corps de Saint-Sébastien, ces piques agressives clouent au sol le “membre” esseulé.
Faut-il y voir une référence au soldat de l’empereur Dioclétien? L’homme promis à l’exécution fut épargné une première fois par ses archers pleins d’estime. Ils prirent soin d’éviter de le blesser au coeur pour lui laisser la vie sauve. Mais son prosélytisme chrétien acharné lui coûta tout de même la vie et le transforma en martyr. Mise en parallèle : la force et la noblesse du matériau renvoie à la bravoure de l’engagement de Saint-Sébastien. Mais la faiblesse de la posture de cette main, saisie dans un dernier élan, fige la fragilité de la condition humaine.

De l’autre côté du mur qui partage la pièce en deux, l’artiste utilise des dispositifs d’expositions similaires. Même neutralité des cimaises, même éclairage et même présentation au sol de deux mains en or blanc. Une chronologie semble s’être mise en place. On peut reconstituer une histoire, l’ébauche d’une narration. La tension exacerbée auparavant laisse la place, ici, à l’abandon, à la résignation. La même main est à présent retournée. Sans vie, elle a capitulé. Elle tient encore au creux de sa paume les doigts coupés d’une autre main gisant à ses côtés.

Trois étapes, moments forts d’un récit étrange et hermétique, se développent dans la répétition de cette sculpture qui se transforme sous nos yeux. L’action est sublimée. Le temps s’est dilaté depuis notre entrée dans la galerie jusqu’à la découverte de ce dernier “moignon”.
Douglas Gordon, vidéaste reconnu et accompli, explore et décline son intérêt pour la temporalité et la réalité qu’elle engendre en fonction de son contexte. Il mêle la mémoire collective, faite de références communes, à une mythologie plus personnelle. Il nous transporte dans un univers où le corps comme enveloppe est le symbole de bien d’autres choses.

Le lieu s’étend et se déploie jusque sous la grande verrière. La salle est plus vide qu’à l’habitude. L’espace n’en est pas pour autant inhabité. Notre regard se pose dans un coin où une tache de sang de l’artiste macule le sol. The Path of Least Resistance nous invite une fois encore à de multiples pistes d‘investigations. La référence au VIH est évidente et s’adresse sans aucun doute à l’ensemble des visiteurs.
Mais au-delà de cette sensibilisation de l’artiste à ce phénomène de société, on peut aussi lire une page de son histoire personnelle. Sa mère, témoin de Jéhovah, a marqué son enfance. L’interdiction de toute transfusion et manipulation du sang, symbole du Christ se voit ici transgressée. Si la substance sacrée est démystifiée, l’artiste se soustrait aussi à la puissance créatrice. Il habite la pièce d’une autre manière. En s’évaporant, le liquide contamine la galerie. Douglas Gordon est partout, tout autour de nous. Le va-et-vient entre l’organique et le spirituel s’impose à nouveau.

On s’intéresse alors de plus près à la vitrine qui trône au centre. Un crâne percé de quarante-et-une étoiles, qui correspondent à l’âge de l’artiste, se reflète dans le miroir sur lequel il est posé. Il constitue la dernière étape d’un travail qui en comprend quarante autres. Ce work in progress s’est enrichi tous les ans d’une nouvelle boîte crânienne.
Autoportrait évolutif : cette oeuvre est aussi l’occasion pour Douglas Gordon de s’offrir un cadeau, à chaque anniversaire, puisqu’il en a été privé toute son enfance. Cette fête n’étant pas célébrée lorsqu’on est témoin de Jéhovah, il semble prendre sa revanche sur un événement qui a si souvent été occulté. Il considère ces achats comme l’acquisition de trophées qui marquent certainement pour lui différentes victoires personnelles.
Puis l’intimité se mélange au thème de la vanité. L’image de la vie et de la mort est démultipliée. Son reflet résonne comme un écho. Le cerveau, l’esprit et le crâne ne font qu’un. Ils se représentent mutuellement, et pourtant, nous ne sommes face qu’à l’un des trois. Douglas Gordon souligne une dernière fois une contradiction récurrente : l’idée et la matière sont inexorablement associées et semblent définitivement inséparables.

Douglas Gordon
Fourty One, 2007. Crâne percé par 41 étoiles, vitrine de verre, miroir. Taille réelle.
The Left And Right Hand Have Left One Another, 2007. Or jaune. Taille réelle.
Left not right, 2007. Or jaune. Taille réelle.
Another Path Of Least Resistance, 2007. Sang d’artiste . Dimensions variables.

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