DANSE

Desh

PSiyoub Abdellah
@09 Jan 2013

Une nouvelle fois au Théâtre de la Ville, Akram Khan présente une autofiction en solo, un carnet de voyage bâti à partir de matériaux collectés au Bengla-Desh, terre de ses parents. Il se raconte à la manière d'un conte post-moderne et s'essaie à partager son trajet identitaire.

Akram Khan fait partie du petit cercle des chorégraphes-stars. Depuis 2000, il a accumulé les succès et les collaborations prestigieuses: Nitin Sawhney, Anish Kapoor, Sidi Larbi Cherkaoui, Sylvie Guillem, Juliette Binoche, London Sinfonietta, Kylie Minogue, Ballet National de Chine, Danny Boyle pour la cérémonie d’ouverture des JO de Londres…
Il a reçu de nombreux prix et multiplié les tournées internationales. Il fait partie des rares grosses productions de la danse contemporaine. Sa compagnie défend l’esprit de ce que l’on appelait «fusion» dans les années 90. Tradition et modernité, Orient et Occident, intime et universel.

Certains sentent déjà poindre un manque d’enthousiasme coupable. Ils ont tort. Akram Khan est un danseur sublime, il a une façon de bouger toute particulière, nourri aux rencontres artistiques autant qu’au kathak (danse traditionnelle indienne) dont il est un interprète virtuose. Son corps qui semble ne pas être segmenté, ses gestes qui s’arrêtent à la main, son buste qui vit autour de la colonne, axe fixe sur toutes ses vertèbres forment la grammaire de ses compositions. A cela s’ajoutent des flux d’énergie pure qui ne dépassent pas la peau. Un ancrage et une force assez peu commune. Il est à la fois pierre et eau. L’idée de le voir danser un solo-récit de soi est absolument réjouissante.

De plus, la danse n’a aucune raison de se refuser les grands moyens. Quant à la justesse à tenir sur la ligne de la rencontre et du mélange d’une citoyenneté mondiale et d’une internationale créatrice, cela est difficile et risqué, mission quasiment impossible, donc plutôt osé.

Qu’en est-il de Desh? Akram Khan se penche sur l’histoire du père. Il explique à propos de la pièce que celui-ci a dû se battre pour transmettre une mémoire dont le fils ne voulait pas. Une histoire individuelle exemplaire. La rébellion d’un Jeune londonien face à la tristesse mêlée de colère de l’Exilé. Choisir d’interroger la transmission de la mémoire, et peut-être son impossibilité, est un sujet sensible, prégnant dans le champ des études post-coloniales.

Pour cela, le chorégraphe réalise un collage de gestes, de paroles, d’objets. De dessins animés projetés en avant-scène en machine à bricoler le temps, la langue se mêle d’un double sens permanent. La force de la nature, la puissance de la ville, une scène d’ouverture chorégraphiée par Damien Jalet qui, utilisant la force du corps emprunté, invite le père sur le plateau… De nombreuses trouvailles poétisent cet auto-portrait documentaire.

Pourtant Desh ne parvient pas à immerger l’Autre dans l’histoire qui appartient à quelques uns. Cela est sans doute dû à une succession d’effets, à une transmission littérale. Ce que l’on reçoit sans y penser dans d’autres pièces échappe à trop être explicité. Seule l’émotion d’Akram Khan à danser son histoire permet de maintenir un lien fragile avec celui qui regarde. Peut-être est-ce la grande réussite de cette pièce charnière: conclure à l’impossible transmission par le récit.

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