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De la nature des lièvres

A partir de l’œuvre de Daniel Arasse, Anne Cauquelin propose une réflexion sur la question du pan, du fragmentaire, de la diffraction du sens en peinture, en art, dans le texte. Illustré par l’auteure elle-même, De la nature des lièvres est un ouvrage poétique et ludique qui entraîne le lecteur dans les rebonds «paragraphés» de la pensée.

Information

En écho de Court traité du fragment — l’essai décisif qu’elle a donné à l’esthétique en 1986 — Anne Cauquelin propose, avec De la nature des lièvres et à partir d’une attention vive et affectueuse à l’œuvre de Daniel Arasse, une réflexion aiguë, enjouée, sur la question du pan, du fragmentaire, de la diffraction du sens en peinture, en art, dans le texte.

Interrogation générique se portant à sauts et à gambades sur les petites formes, sur le paragraphe et les isolats, sur la suspension, sur le dandysme du retrait et quelques singularités animales; affaire elle-même coupée-découpée, elle-même fragmentaire comme il ne pouvait en l’occurrence que se devoir. Dans les rebonds paragraphés de la pensée, ses bouffées autobiographiques, dans un dispositif où images, rêves, idées, souvenirs et sons se versent en écriture, en elle se déposent selon leur ordre propre et s’y composent comme naturellement, De la nature des lièvres, livre d’immédiate tension-instauration ludique (et savante, c’est tout comme), donne à lire une poétique de l’éclat-multiple: un feu artiste — une philosophie dansée.

Anne Cauquelin est professeur émérite de philosophie (Université Paris-Ouest Nanterre La Défense, Université de Picardie), spécialiste d’Aristote à qui elle a consacré quatre livres dont une monographie en 1994, directrice durant une dizaine d’années (jusqu’en 2011) de La Revue d’esthétique, essayiste, romancière (Potamor, 1978; Les Prisons de César, 1979) et peintre.

«Les paragraphes sont des immobilités sérieuses. Ils se tiennent debout sans béquilles, dans leur épaisseur murée. Isolés, déserts, ils ne sont pas contaminés par la chaîne explicative. Il y a quelque temps je les aurai assimilés à des fragments, en me donnant beaucoup de mal pour distinguer le fragmentaire de ce que j’aurai appelé le «vrai» fragment ou fragment froid.

Mais la diffusion du sens, son infiltration dans la nébuleuse qui entoure un terme rend les distinctions hasardeuses: on s’essaye à trier, classer, définir, tandis qu’à mesure l’oreille du lecteur dissout les différences dans un vague sentiment de similitude. Quoi qu’on puisse échafauder sur le fragment et le fragmentaire, le sens reste hésitant entre le morceau (cassé et à recoller si possible) et le pur cristal de pensée isolé dans sa plénitude.

Dans l’imagination que l’on s’en fait, les paragraphes, en revanche, sont séparés les uns des autres par une ligne de blanc ou par un retrait bien marqué. Ce sont de petites unités autonomes dirait-on. Ils tiennent debout tout seuls et sont cependant liés aux autres paragraphes (le paragraphe n’est jamais unique). La question du fragment s’inverse alors: pour le fragment, elle portait sur la distinction entre isolement complet et faux isolement, pour le paragraphe il s’agit de repérer et de décrire des liaisons, la plupart du temps invisibles ou absentes.»

Sommaire
— Elle ne savait pas l’anglais
— Notre Schlegel
— La rivière à l’envers
— Lièvres