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David B. + Robert Crumb + Jochen Gerner

PPerin-Emel Yavuz
@12 Jan 2008

David B., Robert Crumb et Jochen Gerner : dessinateurs issus de générations et de cultures différentes proposant une pratique commune de la bande dessinée, hors cadre, située du côté de l’invention, par opposition l’orthodoxie du genre.

Deux ans après «ObBaPo», la première exposition qu’elle consacrait à la bande dessinée, Anne Barrault récidive avec, cette fois-ci, David B., Robert Crumb et Jochen Gerner dont elle propose une sélection de dessins. Présentant des auteurs issus de générations et de cultures différentes, cette exposition propose pourtant une pratique commune de la bande dessinée, hors cadre, située du côté de l’invention, par opposition à l’orthodoxie du genre.

Un peu plus qu’une simple succession de planches accrochées au mur, comme il est de coutume dans les expositions de bandes dessinées, on a ici affaire à trois propositions extraites de leur contexte originel — le livre — dont elles parviennent à s’affranchir.
En marge de l’édition de la bande dessinée, elles s’inscrivent dans une logique de création artistique en rupture avec le classicisme historique du genre. C’est pourquoi les dessins ainsi exposés apparaissent comme des objets autonomes malgré leur caractère d’unités prélevées d’un ensemble. (Mais ce serait négliger la série comme mode de production dans l’art moderne et contemporain.)

Les dessins de David B. sont ceux qui s’inscrivent le plus dans une histoire de l’exposition des planches de bande dessinée. Les travaux de ce membre-fondateur de la maison d’édition L’Association sont en majorité extraits du dernier tome de L’Ascension du Haut Mal. Si les planches sont bien des morceaux d’une trame narrative, leur valeur esthétique n’est pas diminuée par leur exposition isolée. Parce que David B. conçoit son entreprise comme une écriture noire sur blanc qui combine mots et dessins, un véritable travail d’écrivain dont la forme autobiographique s’éloigne de la bande dessinée classique.
Centrée sur la maladie de son frère, L’Ascension du Haut Mal traduit, dans le contraste d’une facture fourmillante et d’une écriture laconique, dans la tension d’un dessin issu de l’imaginaire et d’un texte cru, la violence qu’elle est pour lui, pour eux. Et c’est ce mélange maîtrisé d’un visible fantasmagorique et d’un lisible irrémédiablement soumis à la réalité qui assure à ces planches leur autonomie plastique.

Alors que David B. se situe dans une perspective narrative liée au livre, les travaux de Robert Crumb et de Jochen Gerner semblent gagner en autonomie.
L’unité des dessins de Robert Crumb réside dans leur mode production. Dans le même esprit que ses deux albums Waiting for Food, l’auteur propose des sets de table en papier sur lesquels il dessine en attendant d’être servi. Portraits rapides sur support fragile, images de la pensée ou observations de caractères produits dans l’attente d’une salle de restaurant, c’est un carnet de croquis mobile qui nous confronte à ce qu’est le dessin pour ces auteurs : une nécessité aussi prompte que le langage à écrire, décrire, raconter le réel. Le support choisi rappelle la fugacité et l’immatérialité d’une parole dite. Les dessins, instantanés de l’esprit, apparaissent sur la surface la plus propice à les recevoir, c’est-à-dire la plus immédiate, une table de restaurant.

C’est justement cette instantanéité que l’on retrouve dans la série des dessins téléphoniques de Jochen Gerner dans lesquels, de manière quasi obsessionnelle, se développe et démultiplie, au long de la conversation, un même motif jusqu’à couvrir la surface entière de la page. Entre automatisme et contrainte, ces dessins combinent le visuel avec les notes prises pendant la communication. Différentes temporalités s’entremêlent: la continuité du dessin — durée de la contrainte — et l’instantané du texte — zone d’affranchissement.

La notion de contrainte, dans la veine de l’OuBaPo (dérivé de l’OuLiPo adapté à la bande dessinée), est encore plus présente dans TNT en Amérique. Utilisée comme matière première à ce travail, la bande dessinée Tintin en Amérique, d’Hergé, est détournée par Jochen Gerner qui noircit les planches en gardant juste quelques mots du texte original et en ajoutant des éléments graphiques colorés.
L’objet de ce travail consiste à donner sa propre vision de la société américaine. Et le choix de l’œuvre d’Hergé est à ce titre justifié par l’auteur pour les similitudes (richesse, beauté apparente, violence latente) qu’elle entretient avec le monde outre-Atlantique. Si Gerner évacue le visuel des planches de la bande dessinée, les mots qu’il en garde ont cette étrange faculté de fonctionner comme des images, peut-être parce que la culture américaine est d’abord iconographique. Pour un dessinateur, évacuer ainsi l’image de ces planches ne serait-ce pas justement le signe d’une conscience aiguë du visuel, l’expression la plus extrême d’une «pensée-dessin»?

David B.
— 10 planches originales de l’Ascension du Haut Mal. Encre sur papier. 49 x 34,5 cm (une planche).
— 4 planches originales de Babel. Encre sur papier. 49 x 34,5 cm (une planche).
— 2 planches originales extraites de Babel. Lilttle Fafou and the King of the World. Encre sur papier. 46 x 67,5 cm.
— 2 planches originales extraites de l’Ascension du Haut Mal n°6 : Venez découvrir l’intérieur de la tête de David B. Encre sur papier. 46 x 67,5 cm.
— Couverture originale de l’Ascension du Haut Mal n°5. Encre sur papier. 37,5 x 55 cm.
— Fantomas, 2002. Encre sur papier. 37,5 x 30 cm.

Robert Crumb
— Pizzeria in Sauve, 2004. Encre sur papier. 37 x 39,5 cm.
— Untilted (Three musicians), 1999. Encre sur papier. 26,5 x 32 cm.
— Untilted (November 12), 2001. Encre sur papier. 27 x 33,5 cm.
— I gotta finish this before, 2004. Encre sur papier. 31,5 x 38 cm.
— She went into her Mary Magdeline Thing, 2002. Encre sur papier. 32,5 x 43,5 cm.
— Champagne Charlie, 2003. Encre sur papier. 39 x 50 cm.

Jochen Gerner
— En ligne(s). 6 dessins téléphoniques, 1994-2002. Technique mixte sur papier. 30 x 24 cm (une page).
— TNT en Amérique. Encre noire sur édition imprimée de Tintin en Amérique de Hergé. 27 x 21 cm (une planche). Ensemble de 62 planches.

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