ÉDITOS

Dans l’ouragan internet

PAndré Rouillé

En cette nouvelle année, le site paris-art.com, qui a été créé en juin 2002, se dirige vers son quatrième anniversaire au rythme de 550.000 pages consultées mensuellement par 150.000 visiteurs. C’est désormais le premier site francophone consacré à l’art contemporain et à la photographie. En regard des ressources financières dont dispose le site, il s’agit là d’un véritable exploit.
Le mérite en revient aux internautes (à leur fidélité sans faille et à leur nombre croissant), aux responsables des lieux d’art (galeries, musées, centres d’art), aux artistes, et évidemment à l’équipe de près de quarante personnes dynamiques, compétentes, passionnées et… bénévoles qui concourent à la rédaction des articles, à l’actualisation quotidienne du site, et à son développement informatique

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Je tiens ici à remercier très chaleureusement chacune et chacun pour sa participation à l’œuvre collective qu’est le site internet paris-art.com. Le nouvel an est l’occasion de rendre hommage aux efforts accomplis par chacune et chacun, efforts grâce auxquels l’utopie d’une production collaborative se réalise et prospère continûment.

Le site paris-art.com, qui s’est imposé dans le très complexe et très encombré espace d’internet, se développe dans les interstices du gratuit. Consacré à «(presque) tout l’art contemporain et la photo à Paris», il est un paradoxe vivant : produit collectivement et bénévolement, diffusé gratuitement, il fonctionne, hors de la logique du profit, à rebours des lois du marché, tout en reposant sur le dispositif (internet) le plus emblématique de l’économie libérale de marché.
L’équipe de paris-art.com est, au sens strict, une association d’amateurs qui produit ce que les professionnels ne savent pas, ne veulent pas, ou ne peuvent pas produire sur internet en quantité et en qualité équivalentes: des contenus inédits sur l’art contemporain et la photographie.
Sont actuellement disponibles, en libre accès : 10.000 articles critiques, annonces, échos, informations bibliographiques, etc., illustrés par 8.500 images.

Le none profit n’implique cependant pas nécessairement la gratuité, qui n’est pas véritablement un choix, mais une contrainte, une difficulté, un danger.
Une contrainte. La gratuité des contenus produits et diffusés par paris-art.com résulte de l’insolvabilité, c’est-à-dire l’immaturité, actuelle du marché de l’information artistique et culturelle sur internet.
Une difficulté. Bien que le site paris-art.com soit produit par une association à but non lucratif, qu’il soit animé par un esprit de partage, de don et d’échange, et qu’il soit guidé par un idéal démocratique, il lui faut des ressources et des moyens pour remplir sa mission.
Un danger. La gratuité fait dépendre paris-art.com de ressources périphériques à ses propres productions : la publicité et les pouvoirs publics. Ressources très modestes et très aléatoires dont aucune ne permet actuellement d’assurer la pérennité de l’action entreprise.

Durant près de quatre ans, on a pu en effet expérimenter l’indifférence (presque) totale des pouvoirs publics et des collectivités territoriales vis-à-vis de l’action de paris-art.com, lequel est pourtant directement opérationnel, indubitablement efficace, potentiellement rentable, et stratégiquement crucial pour assurer le rayonnement régional, national et international de la scène artistique française et francilienne*.

L’attitude des pouvoirs publics, qui s’exprime généralement par l’argument paresseux de l’absence de budget, ou par un très antidémocratique silence, est révélatrice d’une mécompréhension profonde des mécanismes et des pouvoirs informationnels d’internet, ainsi que des rapports de forces qui sont en train de se nouer au niveau international autour et à partir d’internet.
Il est en effet aujourd’hui urgent de développer une information culturelle et artistique vivante, cohérente et sérieuse sur internet, et dès à présent nécessaire de la soutenir et de l’accompagner en mettant en place des mécanismes d’aide à la production de contenus comparables à ceux qui existent pour les supports sur papier — le livre et la presse —, pour le cinéma, et pour les jeux vidéos.

En matière d’internet, les aides existantes, en France comme en Europe, sont uniquement consacrées aux technologies et secondairement aux œuvres artistiques, mais non aux productions de contenus informationnels. Alors qu’internet est d’ores et déjà le principal vecteur d’information qui a, en moins de deux ans, totalement chamboulé l’édifice antérieur de l’information et de la presse.
C’est à partir de cette compréhension de la dynamique en cours que nous avons créé paris-art.com en juin 2002, avant la naissance de l’Adsl. Or, la réalité a dépassé nos prévisions: en août 2005, le nombre des internautes connectés en haut débit à domicile s’élevait en France à 13,7 millions, en progression constante…

Va-t-on renouveler avec internet les erreurs qui, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, ont abouti à l’actuelle hégémonie de la culture anglo-américaine?
Tandis que nos élites et nos élus ne manquaient aucune occasion pour se gausser de la grandeur et de l’ancienneté de la culture française face à la jeunesse de la culture américaine, ils ne s’apercevaient pas que celle-ci envahissait le monde, imposant ses critères dans tous les domaines (du cinéma à l’art contemporain), s’affirmant comme une puissance économique de premier plan (l’industrie du cinéma hollywoodien dépassait celle de l’automobile), et surtout devenant une véritable puissance politique de conquête et de pouvoir.
La «vieille Europe» assistait sans réagir au rôle croissant que le soft power (le pouvoir par la séduction, la persuasion ou la diffusion de valeurs, de stéréotypes, etc.) jouait aux côtés du hard power (le pouvoir par la coercition militaire ou économique).

Avec la société numérique, et surtout avec l’essor d’internet, la dynamique des cinquante dernières années s’est accélérée de façon vertigineuse, en particulier dans le domaine de l’art et de la culture qui s’est largement mondialisé, virtualisé, et connecté en réseaux virtuels (internet) et réels.
Les modes d’accès aux œuvres, leur circulation, la production et la diffusion de l’information, la rémunération des auteurs (on y reviendra), les pratiques artistiques elles-mêmes, ont changé au moyen et au tempo de la vague numérique qui submerge et transforme toutes les activités — la photographie, la vidéo, la musique, le cinéma, etc.

Promouvoir la scène artistique française et francilienne dans l’ouragan informationnel qu’est internet en produisant des contenus de qualité, proposer aux internautes une information actualisée en permanence et des réflexions critiques claires, offrir aux artistes et aux lieux d’art une forte visibilité : telles sont quelques unes des missions que poursuit depuis bientôt quatre ans paris-art.com, auxquelles il faut ajouter son action en faveur de la francophonie, de la promotion de la langue et de la pensée française dans le monde…

André Rouillé.

* La Ville de Paris est la seule à soutenir le site paris-art.com depuis 2003.

* Du côté de la Région Ile-de-France, on comprend mal pourquoi il n’a jamais été possible d’obtenir du Service de la Culture le moindre acccusé-réception, ni la moindre réponse à nos différents dossiers, courriers et appels. Attitude d’autant plus étrange — et guère démocratique — qu’elle émane d’une Région qui a organisé au printemps dernier les «Assises régionales de la Démocratie culturelle».
Souhaitons qu’en 2006 la Démocratie réelle (celle des faits) prévale sur la Démocratie formelle (celle des mots).

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Didier Rittener, Auto-protection, 2005. Installation. Polyester. Dimensions variables. ©Photo : André Morin / Le Crédac.

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