ART | CRITIQUE

Dans le désordre

PNicolas Villodre
@18 Sep 2009

Malgré les apparences, la peinture de David Lefebvre ne coule pas de source. Son motif n’a rien de réel ou presque. Rien d’évident. Le peintre concède des lettres de noblesse à une imagerie piochée à droite et à gauche, sur internet, dans des magazines, dans la rue, au petit bonheur la chance —d’où le titre de l’exposition.

Adepte de la «Basse def» grenobloise, David Lefebvre semble en tout cas avoir trouvé la formule d’une peinture figurative à base d’huile liquéfiée, de teintes caustiques, de sujets prosaïques, de dégoulinures assumées, de transparences révélant coquettement les coulisses de l’exploit.
Ici, pas de trompe-l’œil: les traits de crayon, les couches cachées, les traces de mise au carreau sont équivalentes au reste. D’où, peut-être, une certaine impression d’inachevé.

L’aspect désenchanté de certains tableaux de David Lefebre s’explique autant par leur trivialité thématique que par leurs conditions de production. Ce matérialisme volontiers exhibé a d’ailleurs été perçu comme le signe de la modernité de ce travail et de la démarche de l’artiste.

Le désordre apparent de l’accrochage automnal suit en fait deux idées précises qui apportent de la cohérence à l’affaire. D’une part, David Lefebvre a limité son territoire à un corpus d’images provenant du blog d’une jeune inconnue. De l’autre, l’héroïne ayant, pour des raisons de (relatif) anonymat, dissimulé son visage derrière un rectangle blanc, ce motif défiguratif, ou a-figuratif, ce «simple» signe, si vous voulez, est devenu, par la force des choses, le sujet principal de la nouvelle série du peintre. Un signe, disait Isidore Isou, se voit comme le nez au milieu de la figure de l’art.

Du coup, cette retouche ou, si l’on est optimiste, cette «ouverture» contamine la toile dans son ensemble. Presque toutes les œuvres exposées sont ainsi détournées par ce punctum, dans divers contextes ou situations.
Lorsque, par exemple, la jeune femme lève le bras pour tirer sur une branche d’arbre dans son jardin; lorsque la coquine en minijupe et bottes de cuir est assise sur un muret de briques rouges; lorsqu’elle réalise avec son camarade de jeux un reportage radio (voir les deux microphones de type Lem DO 21); lorsqu’elle se promène en short au bord de l’eau, sous un pont en béton pur; lorsque, le cabas à la main, elle se dirige vers un marché provençal, fièrement, en claquettes…

Mais on retrouve le leitmotiv du carré blanc sur fond coloré également dans des paysages de pavillons, de villas cossues, de champs pâteux vangoghiens, sans la moindre présence humaine, donc sans nécessité réelle…
De même, lorsque la jeune femme, vêtue d’une robe grise, chaussée de derby bicolores comme ceux de Fred Astaire, les genoux en dedans, est décadrée et qu’il est de toute manière impossible de l’identifier, le peintre trouve tout de même le moyen de caser son motif qui a la taille (et la fonction contraire) d’un badge.

Nous avons été sensible, par ailleurs, au grand format horizontal présentant deux jeunes femmes en train de petit-déjeuner à la terrasse d’un café. Celle de gauche a les yeux fermés, absorbée par la dégustation de sa viennoiserie. Celle de droite a les yeux fixés sur l’horizon lointain et hors champ; elle tient à la main un mug à la gloire d’une multinationale suisse spécialiste ès ersatz. Ici, on n’a pas droit au rectangle de rigueur. C’est le visage en son entier de la jeune fille qui est blanc, vierge, livide, comme celui d’une morte.

Lassé ou pressé d’en finir, l’artiste a achevé son sujet. Et laissé la peinture en plan.

David Lefebvre
— Carré blanc, 2008. 116 x 90 cm.
— Sans titre, 2009.
— La caisse à papa blanche, 2009.
— Nescafé, 2009. 89 x 116 cm.
— Sans titre CE2, 2009.

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