ART | INSTALLATION

Cutting Corner Creates More Sides

13 Sep - 20 Oct 2012
Vernissage le 13 Sep 2012

L’installation vidéo Cutting Corners Creates More Sides interroge notre relation au réel et aux objets qui le constituent. Gary Hill sonde ainsi, à travers caméras, écrans et projecteurs, un univers de choses apparemment insignifiantes. Surtout, cette installation questionne le rapport langage — image, et crée un récit sinueux renvoyant à la fois aux mécanismes perceptifs et aux impasses du langage.

Gary Hill
Cutting Corner Creates More Sides

Un texte parlé «…fouille dans les tas de choses en trop: du matériel sous emballage et tout ce bazar inutile…» et les difficultés rencontrées par le langage qui tourne autour des mots indispensables. Les bribes de récit se diffractent dans une multitude de verres optiques, chaque énoncé successif posant un nouveau jalon sur la route. Sur un long plateau noir deux caméras sans profondeur de champ pénètrent, phrase après phrase, dans un univers d’objets apparemment insignifiants. Outils, pièces détachées, morceaux de choses oubliées: tout ce qui a pu tomber sous la main s’incorpore dans une image d’alter ego limpide et chatoyante. Pour chaque phrase et chaque «forage» dans les objets, les parallaxes des caméras sont réglées en fonction d’une distance différente, offrant pendant un court instant une vue horizontale ininterrompue, qui se disloque aussi vite qu’elle apparaît.

L’installation en soi est un dispositif mobile autonome fonctionnant en circuit fermé, équipé de projecteurs et d’écrans positionnables, et d’une sorte d’étroite piste d’aérodrome noire témoignant de l’opération d’enregistrement initiale. Les objets du début sont remplacés par un alignement aléatoire de haut-parleurs qui suivent le trajet de la voix, localisent les sujets ciblés par des fragments de discours et repèrent une série de plans successifs dans un étrange univers d’objets, d’où émane un récit sinueux renvoyant à la fois aux mécanismes perceptifs et aux impasses du langage.

«Me voici à deux doigts de comprendre ce qui se passe exactement…
Je me borne à fouiller dans les tas de choses en trop, du matériel sous emballage et tout ce bazar inutile qui, dans un moment de relâche, a tendance à inverser mon rapport aux dites choses de manière assez insidieuse. Je ne médite que sur certaines d’entre elles, qui apparaissent et disparaissent sans aucune raison discernable, hormis le fait que je les ai adoptées à un moment ou un autre.

Le simple effort de faire une chose après l’autre devient à présent extrêmement difficile à accomplir. Les pensées ne parviennent plus à maintenir les mots assez longtemps dans une position stable pour apporter un remède. Il faut donc que je me donne moi-même des consignes. Non pas que ce soient pas des mots à proprement parler. Simplement, ils me bousculent au lieu de m’accompagner, refusent catégoriquement de coopérer, réduisant à néant la fluidité de la pensée. Les fantômes insolents échappent à mon désir et se mettent à me narguer. L’incapacité de les différencier me fait fermer les yeux, fredonner en espérant faire vibrer mes os. J’entrevois un instant les mots revêtus de masques vénitiens, échangeant malicieusement leurs houppelandes derrière les persiennes de la pensée. Dès que je commence à verbaliser, les images des mots que j’essaie d’articuler se transforment en clones booléens et mes paroles ne sont plus qu’un galimatias inepte. J’ai le net sentiment d’avoir un temps de retard. Les pensées se rétractent avant que le langage ait pu leur donner le moindre élan. À intervalles réguliers, l’agitation extérieure vient me tirer de mon blocage. L’effet Doppler d’une sirène au loin, un voisin perturbé, un chien gémissant, tout ce que la nuit peut avoir à offrir crée un mouvement bienvenu, aussi éphémère soit-il.

Suis-je capable de manier une langue vivante sans crainte? Des accès de sensations purement physiques m’arrachent à la spirale paralysante des méandres récursifs, autorisant un tant soit peu d’espoir. Mais c’est toujours pareil: les mots bruts, les mini-cauchemars retournent précipitamment dans leurs carapaces respectives avant de reprendre le jeu mental où l’on perd à tous les coups.

Un air froid remue le cocon verbal, faisant sortir des profondeurs enfouies un souvenir récurrent qui plaque son scénario sur le défilement des pensées. Les souvenirs provoqués sont suspects. Correspondent-ils à quelque chose de réel? Qu’est-ce que cela change? Chacun a tendance à interpréter ces choses-là à sa façon.

Le vaste réseau de pistes noires entrecroisées ressemble à des gros plans sur des ballons fabriqués avec des bandes de caoutchouc de largeur variable. J’ai du mal à évaluer la distance depuis cette espèce de prouesse technique aux dimensions inimaginables.
Un somptueux ciel de fin d’après-midi rehausse l’hommage à l’ingéniosité humaine que j’ai sous les yeux. Le ravissement devient palpable quand la splendeur lapis-lazuli se love au creux de l’obscurité prête à l’accueillir. Le ciel velouté se transforme à vue d’œil en espace infini porteur de possibilités vertigineuses. La nuit scintille et mon point focal bascule d’un extrême à l’autre pour un examen plus approfondi. Étant donné l’ambiance calme, pourquoi aucun avion ne décolle, atterrit ou roule sur les pistes? Il y a là toute une ménagerie de beautés aérodynamiques qui restent passives et font penser à des flèches pointées au hasard dans toutes les directions. Les véhicules de service et divers matériels de maintenance sont tout aussi désœuvrés et silencieux. L’immobilité totale de l’air ne fait qu’accentuer l’étrangeté de la situation. Pourtant, il n’est pas du tout vicié. Il est bizarrement inodore et inoffensif, jusqu’à l’ivresse. Je me surprends à aspirer profondément, de plus en plus profondément, comme si on avait injecté un supplément d’oxygène autour de moi. À présent, la clarté de la nuit est tout bonnement magnifique. La pléthore d’étoiles ressemble plutôt à du sable éparpillé ou des parcelles de cristal en parfaite harmonie avec le grand oscillateur qui chante à tue-tête.

Tout est complètement immobile et subtilement disposé par une main géante. Peut-être existait-il un projet secret abandonné brusquement pour une raison ou une autre. Cette explication ne tient pas la route, car il n’y a pas de décombres, de gravats, de ferraille, ni de verre brisé. Au contraire, le décor est immaculé et étrangement prémédité. Est-ce un camouflage, le simulacre de choses peut-être tragiques ou encore plus fantastiques, une sorte de lieu furtif, rendu invisible par des algorithmes spéciaux dont j’aurais violé le code par inadvertance? Cette idée fait peur, et en même temps on peut imaginer des conséquences grisantes. L’atmosphère change radicalement. Je sens une accélération. Je constate que ma vision se déstabilise rapidement. Chacun de ses aspects est mis à rude épreuve. Ce qui s’apparentait pratiquement à une photographie banale, bien que mystérieuse, s’avère être une construction bizarre où interviennent peut-être des trucages compliqués, des mécanismes de commande et des leurres gigantesques. Je commence à avoir des sueurs et à me sentir mal. Je n’arrive plus à faire la synthèse des deux images qui me viennent directement dans les pupilles.

Des ondes lumineuses se déplacent au-dessus du site comme des nuages rapides. Les objets concrets opaques se transforment en strates de lumière diaphane et inversement. Ma profondeur de champ ne fait rien pour arranger les choses. Il devient de plus en plus difficile de séparer un objet de l’autre. La perception se noie. Ma vision est celle d’un corps fatigué qui se laisse engloutir par les sables mouvants.

Ai-je simplement perdu connaissance pour me réveiller ensuite avec une vue d’ensemble sur quelque activité cinématographique? Peut-être que je regarde à travers un instrument d’optique, un genre de stéréoscope à l’ancienne, en parcourant son espace en trompe-l’œil séduisant, sans me souvenir qu’il a surgi tout d’un coup devant moi. Ou alors, ai-je vécu un épisode de somnambulisme cette nuit? J’habite à la sortie d’une ville frontalière en bordure du désert, un endroit tranquille propice aux promenades, tout endormi, et la mienne aurait pu me conduire au milieu de nulle part en un rien de temps.

En fait, j’ai besoin d’établir un contact physique pour confirmer ou démentir ce que j’ai sous les yeux. Il y a cette idée lancinante que c’est mon existence même qui sera déterminée lorsque j’aurai franchi le pas, avec tout ce que cela peut impliquer. J’avoue que je n’ai pas eu la force de volonté nécessaire pour démasquer ce qui commençait à me donner une impression de vide stérile.

Tout semblait concorder en son sein, sans cadrer avec rien d’autre à l’extérieur. Était-ce simplement une question de synchronisme?»

Gary Hill

critique

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