ART | CRITIQUE

Contrepoint III. De la sculpture au Musée du Louvre

PJulia Peker
@12 Jan 2008

Pour sa troisième édition, Contrepoint organise un vaste parcours au sein du département des sculptures. Onze artistes croisent temps et frontières, immiscant harmonieusement leur contemporanéité entre les murs du Louvre.

Depuis 2004, le Louvre invite des artistes à entrer en ses murs, initiant un dialogue à plusieurs voix entre les œuvres des collections et des interventions contemporaines. Pour sa troisième édition, Contrepoint organise un vaste parcours au sein du département des sculptures : de la cour Marly à la cour Khorsabad des Antiquités orientales, de l’époque médiévale au monumentalisme du XIXe, les temps se croisent et les frontières se brouillent. Onze artistes scandent ce cheminement à travers des traditions que le musée tend à isoler en secteurs, et perturbent l’implacable découpage muséographique.

Luciano Fabro, Claudio Parmiggiani et Guiseppe Penone représentent différentes facettes de l’Arte Povera. Richard Deacon, Anish Kapoor et Robert Morris ouvrent du côté de la sculpture anglaise et américaine, tandis se déploie le renouveau français à travers Elisabeth Ballet, Gloria Friedmann, Didier Trenet, Michel Verjux et Jacques Vieille.
Tous respectent fidèlement les principes de polyphonie du contrepoint: leurs œuvres s’enchâssent et se perdent dans les salles, s’imbriquent avec les collections du Louvre, requérant un regard alerte. Loin d’ériger avec force une contemporanéité dissonante, elles suivent les rapports inventifs d’une harmonie temporelle.

En choisissant de retourner certaines sculptures de la cour Marly, Elisabeth Ballet ouvre le jeu de ce dialogue entre les œuvres, et détourne discrètement les règles muséographiques. L’éternelle présentation frontale des sculptures impose un hiératisme figé; elle fait oublier qu’on contourne ces œuvres si on ne leur tourne pas autour. Les lourds blocs de marbre ont pivoté pour l’occasion, animant les figures d’un mouvement éloquent.

Aussi lourde soit la pierre, la sculpture est mouvement et rapport à l’espace. Le musée la prive de l’environnement contextuel dans lequel elle trouvait sa fonction et son expression première. Contrepoint réactive cette quatrième dimension, en l’arrachant au passéisme historique : chacun de ces artistes fait du musée un nouvel espace où l’œuvre prend vie.

Richard Deacon démêle la chevelure abondante de la Marie Madeleine de Gregor Erhart: les douze piliers de bois torsadés, dressés comme une forêt à ses côtés, charrient un flot de symboles religieux, et toute la sensualité de ce simple apparat dans lequel la Sainte abrite sa pudeur.

Installant des faux en haut des murs qui encadrent le tombeau de Philippe Pot, Claudio Parmiggiani nous suspend à la présence menaçante de la Mort. L’œuvre se diffuse dans l’ensemble de la pièce, inclut le spectateur dans l’espace qu’elle construit.

L’immense miroir, conçu par Anish Kapoor pour la cour Khorsabad du palais Mésopotamien, réfléchit cet univers en facettes de la sculpture. Depuis la fin des années 90, l’artiste travaille de l’acier poli: C-curve est un arc de cercle posé au sol, un rectangle incurvé un peu plus haut que la taille humaine. L’image des bas-reliefs monumentaux se mêle à celle des spectateurs. La surface intérieure du miroir reproduit le mécanisme de la vision sur la pupille: le reflet se projette à l’envers jusqu’à une certaine distance, puis se retourne à l’endroit quand on s’approche de la paroi. La déformation de l’espace se résorbe progressivement, et l’appréhension du mouvement dans l’espace prend une dimension vertigineuse.

Mise à part cette création spectaculaire, la plupart des œuvres proposées se présentent avec discrétion: en se dispersant dans les salles, elles invitent le regard à un prolongement ouvert. Le contemporain est le principe de perpétuelle activation qui traverse les âges et les frontières, et non une confrontation frontale entre moderne et passé.

Anish Kapoo
— C-Curve, 2007. Acier poli. 220 x 770 x 300 x 13,5cm. Collection de l’artiste.

Didier Trenet
— Douce douche, 2007. Bassine métallique. Tubes de cuivre. Boules de pétanque. Fragments de marbre. 220 x 100 x 80cm. Collection de l’artiste.

Elisabeth Ballet
— Bump Piece, 2007. Résine. Vêtements. Perchman: 175 cm. Perche: 500 cm de long. Collection de l’artiste.

Giuseppe Penone
— L’Arbre de 10 mètres, 1989. Bois. Deux éléments. Dimensions: arbre 1 : 501 x 45 x 50 cm. Arbre 2 : 449 x 45 x 50cm. Collection de l’artiste.

Robert Morris
— The Birthday Boy, 2003-2004. Deux vidéos DVD. Durée : 68 min. Langue : italien, sous-titré français. Texte et direction: Robert Morris. Edition et production: Art Media Studio Florence: Vincenzo Capalbo, Marilena Bertozzi. Acteurs : Stefano Tamburini, Caterina Cappelli.

Jacques Vieille
— Charlotte des Bois, 2000. 200 plants de fraises, variété «Charlotte des bois» dans des containers de plastique noir. Conduit TPC cintrable blanc. 5 pompes immergées. Socles. Tube de 16cm de diamètre ; longueur : 500 cm. Socle: 8 x 694 x 380 cm. Collection de l’artiste.

Gloria Friedmann
— Les Contemporains, 2007. 18 personnages en plâtre. Horloges. 200 x 60 x 60 cm. Collection de l’artiste.

Richard Deacon
— Garden, 2007. Bois de chêne et gesso. 220 x 95 x 60 cm. Collection de l’artiste.

Claudio Parmiggiani
— Ex Voto, 2007. Faux. entre 130 cm et 160 cm. Collection de l’artiste.

Luciano Fabro
— Cul de ciel, 2006. Cylindre lisse. Marbre. Longueur 300 cm. Diamètre: 30 cm. Partie irrégulière brute: 150 x 100 x 50 cm. Collection de l’artiste.

Michel Verjux
— Quatre échantillons en contrepoint, 2007. Projecteurs à découpe. Collection de l’artiste.

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