ART | CRITIQUE

Contradicting Architecture

PNicolas Bauche
@12 Jan 2008

Contradicting Architecture : un démenti en dix temps du monumentalisme architectural. Dans un vaste volume aux murs immaculés, l’accrochage dissémine les œuvres dans une mise en scène faisant la part belle au vide. Dix artistes majeurs prennent possession des lieux architecturaux…

Seul un aussi bel espace que la galerie Marian Goodman peut accueillir une exposition au nom polémique, Contradicting Architecture, sans frôler le ridicule. Un démenti en dix temps du monumentalisme architectural. L’art a toujours à voir avec la spatialité mais le problème est, a fortiori, plus accru dès qu’il s’agit de l’agencement urbain. Dans un vaste volume aux murs immaculés, l’accrochage dissémine les œuvres dans une mise en scène faisant la part belle au vide : une première manière d’habiter l’espace pour le visiteur ?

Dix artistes majeurs parmi lesquels Yves Klein, Dan Graham, Juan Munoz ou Pierre Huyghe prennent possession des lieux architecturaux. Nulle trace de bâtiment ici, juste des bribes artistiques où on les devine. Des monuments qui n’existent pas ou des projets à l’image des fontaines de Varsovie de Klein, des maquettes qui se jouent de lieux réels (le jeu de Karin Schneider avec la King’s road House de Rudolph Schindler), etc.
Tout le mérite de Contradicting Architecture réside dans des propositions créatives qui émiettent cet art sous des formes multiples : pelliculaires (des tableaux, des vidéos), matérielles mais réduites (des maquettes, des sculptures). L’exposition ne se veut pas pour autant un coup de semonce : on n’assiste pas à la mise à mort de l’architecture. Mais elle flirte joliment avec l’impertinence. Et d’entrée de jeu.

Tacita Dean ouvre le bal avec sa Washington Cathedral (2002) : une série de 95 cartes postales représentant la cathédrale de Washington et disposées en rectangle. Les représentations varient sensiblement de l’une à l’autre, la végétation se raréfie ou devient au contraire plus dense mais les traits principaux du lieu sacré restent les mêmes. A un détail près : les cartes postales datent du début du XXe siècle et la cathédrale n’a été consacrée qu’en 1990.
Une architecture sur rien en somme que vient confirmer Thierry de Cordier avec sa bien nommée Chapelle du Grand Rien (2005). L’artiste belge propose un projet de lieu de culte pour un hôpital psychiatrique. Si le travail de Dean est un escamotage, à la limite d’un trait d’esprit, Cordier transforme la banalité de quelques plans architecturaux en une peinture minimaliste. Une série de quatre planches cernée de deux perles : une toile où un carré blanc se fissure d’un trait noir et l’esquisse finale où l’on n’arrive plus à saisir s’il s’agit d’une photo au velouté ambigu ou d’une encre de Chine. Des formes simples, des jeux de nuances réduits mais une expressivité rare.

L’architecture est aussi un aménagement de l’espace familier. Karin Schneider s’en rappelle et détourne la référence à Schindler. La maison se fait table à sushi, ornée de tous les éléments d’un repas japonais : les coussins de part et d’autre de la table, la théière, des bouteilles de saké, des baguettes et des bonsaï. Le tout est posé sur un tapis : une invitation à s’asseoir, à poursuivre un repas à venir.
Karin Schneider ne se limite pas pour autant à une simple métonymie où la table symbolise l’univers domestique. Tout cela serait un peu trop facile. Elle nous apporte sur un plateau d’argent — un bâtiment de Schindler, rien que ça ! — les éléments de l’harmonie du bien vivre. En un seul plan coexistent la nature, les fluides nourrissants et le lien interpersonnel. L’aménagement n’est pas une question de murs et d’angles droits mais, il se fait de l’intérieur, à partir du foyer humain.

Une histoire particulière de l’architecture se fait jour, en marge de Vitruve et des grands théoriciens classiques. Les artistes de Contradicting font fi d’une vision globale de l’espace, tout est ici une question de mise en morceaux, de mise en détails.
A ce titre, les deux salles du sous-sol sont exceptionnelles. Des œuvres de Jonas Dahlberg — Untitled (Vertical Sliding) (2001) —, et de Nayia Frangouli — Successive Change of Place (2003) et Pseudo Futurist Condition (2004) — y sont projetées.
Les vidéastes se défont souvent du processus et du cérémonial propre au cinéma. Pas Dahlberg et Frangouli qui nous font pénétrer à tâtons dans des salles obscures. Sur un écran géant défilent en boucle les images en noir et blanc d’un long travelling latéral : un mouvement sans début et sans fin. Le film nous montre des couloirs assombris ou lumineux qui vont vers des pièces que l’ont ne voit pas : une habitation invisible en quelque sorte mais pourtant il y a de l’architecture.
Sur ce même procédé, Nayia Frangouli module la vitesse des images : elles défilent de plus en plus rapidement jusqu’à un haut le cœur visuel. Des détails de bâtisses que la confusion rétinienne rend irregardables.

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